L’indignation était presque parfaite

Ton parcours te destinait quasi-inévitablement à une carrière d’apparatchik, rue de Solférino : militantisme à la FIDL® (pendant ta dernière année de terminale, au Lycée Robespierre), puis à l’UNEF® (pendant ta première – et dernière – année de socio, à Nanterre), et enfin à SOS-Racisme® (pendant ta première année au RSA, dans ta piaule). Pour l’instant, on t’a cantonné à l’achat des piles pour le haut-parleur et à la photocopie des tracts. Mais tu sens bien que tu es appelé à un destin plus grand : lutter contre le Mal et voir en vrai Ségolène Royal. Et tu rêves de pouvoir faire, à ton tour, le célèbre numéro de l’indignation « citoyenne »© devant les caméras du journal télévisé, comme tes idoles Benoît et Martine, les deux pleureuses officielles du parti. Et pour cela, tu me demandes de te montrer comment faire.

Rien de plus simple, en vérité. Du moins, en théorie, parce que la pratique nécessite un long et persévérant labeur. D’abord, mets-toi devant un miroir, et répète la gestuelle : la main sur le cœur, lève les yeux au ciel en mimant la vertu outragée. Entraîne-toi longuement : on n’arrive pas, d’un seul coup, à la jouer avec autant de conviction qu’ils ne le font. Le théâtre, ça ne s’improvise pas. Même le mauvais.

Ensuite, il y a le langage. Tu vas avoir à apprendre un dialecte – heureusement très proche du séfran – indispensable pour montrer que tu as – ainsi que tes amis – le monopole du cœur. Tu dois intégrer ces formules dans tes phrases de façon systématique. Avec le temps, ça viendra automatiquement, sans même que tu y prêtes attention. Voici la liste magique :

« Nous condamnons avec la plus grande fermeté… »©

« … nous sommes consternés et scandalisés… »©

« … un énième dérapage verbal… »©

« … un discours intolérable… »©

« … des propos nauséabonds… »©

« … rances… »©

« … aux relents xénophobes / homophobes / poujadistes… »©

« … des amalgames… »©

« … qui stigmatisent… »©

« … qui diabolisent… »©

« … qui légitiment les discriminations… »©

« … pour faire oublier les vrais problèmes… »©

« … un appel du pied à l’électorat extrémiste… »©

(Note que cette liste n’est pas exhaustive : tu pourras la compléter au gré des interventions télévisées des ténors du parti qui seront, pour toi, des modèles de tartufferie à imiter fidèlement.)

Quand tu es en forme, donne le coup de grâce avec la botte plus très secrète de la « Gauche morale »© : « … Voilà qui nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire ! ». Opprobre et discrédit garantis pour tes adversaires !

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.