Hommage (ou presque)

Figure emblématique du courant traditionaliste, l’abbé de Nantes est mort il y a quelques mois, en laissant derrière lui une communauté – parfois perçue comme une secte – de fidèles dont beaucoup manifestaient – et continuent de le faire – une « nantolâtrie » qui semble avoir triomphé de leur libre-arbitre. Avant même la fin du dernier Concile, il avait commencé à dénoncer l’apostasie – selon lui – réalisée par les Pères conciliaires. Il y dénonçait une nouvelle religion dans laquelle le culte de l’homme remplaçait celui consacré à Dieu ainsi qu’une conversion à un relativisme influencé par l’air du temps. Abordés pendant Vatican II, l’œcuménisme et la liberté religieuse furent sans doute les deux questions qui cristallisèrent – outre la réforme liturgique qui y fut entreprise – les foudres du prêtre qui se réclama toujours de la pensée de Maurras.

Dois-je rappeler mon imperméabilité à cette position traditionaliste selon laquelle Vatican II ne serait qu’un tissu d’hérésies ? Cette tentative de réfutation systématique ne m’a jamais convaincu, ni par la méthode choisie – une lecture durcie et hors contexte des textes qui présume leur hétérodoxie – ni par l’argumentaire – un discours verbeux dans lequel les détails l’emportent face à une vision globale du propos. Pour être franc, j’attendais quelque chose de plus satisfaisant de la part de gens présentés comme des théologiens.

Cependant, j’avoue avoir quelque estime pour feu l’abbé de Nantes, et ceci pour plusieurs raisons. Au delà de son jugement discutable sur le Concile, il faut déjà lui reconnaître d’avoir élaboré la réflexion qui sera reprise ensuite par tous les traditionalistes n’ayant pas son intelligence et sa culture. De plus, il n’a pas quitté la ligne de conduite qui fut la sienne depuis les années soixante : en attaquant frontalement Paul VI, il demandait ainsi à être jugé sur pièces selon la forme prévue par le droit de l’Église. Au lieu de cela, Mgr Lefebvre louvoya pendant vingt ans avant de déclencher un schisme. Enfin, admettons que certaines de ses remarques sur le climat post-conciliaire en France ne sont pas dénuées de fondements : au nom d’un soi-disant « esprit du Concile », des chrétiens voulurent apporter une révolution dans l’Église, en tentant de conduire cette dernière à renier l’héritage – la Tradition – sur lequel elle vit depuis deux millénaires.

Mais ce pour quoi je lui garde une vraie considération tient moins à son refus d’accepter la thèse sédévacantiste – qu’il a clairement dénoncée – qu’à son opposition constante au schisme. S’il s’en est pris avec vigueur au Pape du Concile, il a toujours demandé un procès dans les règles et des réponses à ce pourquoi il avait été frappé de suspense a divinis et d’interdit – autrement dit de donner et de recevoir des sacrements. Aussi, la mise en place récente d’un organe de dialogue entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X peut apparaître comme porteuse d’une certaine ironie : ceux qui n’ont pas hésité à désobéir en allant jusqu’au schisme semblent recevoir des égards que l’on n’a pas accordés à l’abbé de Nantes qui estimait, lui, qu’on ne guérit pas un mal par un autre mal. La création de l’Institut du Bon Pasteur – fruit d’une scission dans la FSSPX – a également de quoi faire grincer les dents : confondant le droit canonique – et le statut qu’il octroie aux membres de l’Institut au sein de l’Église catholique – et la théologie – qui postule que l’unité catholique est donnée par la charité, la foi, les sacrements et la communion hiérarchique – certains de ses prêtres continuent à diffuser la pensée en vigueur à Écone, lors de conférences avec pignon sur rue ou par le biais de livres destinés à réfuter la « nouvelle religion », sans avoir pourtant à subir les sanctions qui touchèrent, en son temps, le créateur de la CRC. Ne regrettant rien du schisme auquel ils ont participé, et en en revendiquant même sa nécessité à l’époque, les anciens de la FSSPX dispensent sans complexes, à qui veut les entendre, des leçons de vraie catholicité. En oubliant le scandale et les conséquences de leur acte d’insoumission de 1988.

Georges de Nantes est mort le 15 février 2010. Il aura eu des comptes à rendre face à son Créateur. Nous en aurons tous, de toute façon…

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.