Ils étaient 10500 selon les organisateurs, 10500 selon la préfecture de police, 10500 selon les journalistes. Un tel consensus est suffisamment rare pour qu’il mérite d’être souligné. Il aura fallu le mouvement des « gilets jaunes » pour susciter une telle union sacrée – contre lui, bien sûr. Face à ce péril factieux, une avant-garde de citoyens raisonnables s’est levée au secours de la République. Ou plutôt de la République en Marche. Pour eux, c’est synonyme.
Face aux « gilets jaunes » on aura dorénavant les « foulards rouges ». Au premier abord, on pourra s’étonner de la couleur choisie qui ferait aisément songer aux komsomols ; peut-être faut-il plutôt y déceler une référence à Christophe Barbier, chantre multimédias d’une idéologie dominante. Quel meilleur signe de ralliement que sa légendaire écharpe écarlate pour manifester en faveur du pouvoir en place ?
C’est une vidéo qui est devenue « virale » – comme on dit – sur le Net et particulièrement dans la « fachosphère » – comme on dit aussi. Il s’agit d’un extrait d’Arrêt sur Images, émission sérieuse s’il en est, qui tourne au sketch montypythonesque. Le sujet du jour concerne la Marche des Fiertés et ses guéguerres intestines. Un verbatim des échanges permet d’en apprécier la saveur.
Daniel Schneidermann, le présentateur lance le débat avec une question : « Quatre invités, quatre hommes. Pourquoi a-t-il été si difficile d’inviter des femmes ? » Un ange passe. Les quatre invités se regardent en chiens de faïence ; la gêne est perceptible.
L’onde de choc causée par l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis d’Amérique ne semble pas près de faiblir. Le désappointement des clintoniens est d’autant plus fort qu’on leur avait annoncé une victoire haut-la-main d’Hillary, la Mère la Victoire du nouveau désordre mondial. La guerre pour tous, ça devait être maintenant. Mais il faudra patienter d’autant plus que, chez nous, François Hollande a décidé de ne pas se présenter pour un nouveau mandat de destructions massives.
Une fois la victoire de Trump annoncée, on a eu droit aux manœuvres dilatoires habituelles. Il fallait évidemment recompter les voix : les USA ne sont pas la fédération socialiste du Nord de la France en 2008. Ensuite, on se mettait à gloser sur le système américain qui permettait à un candidat de l’emporter tout en ayant obtenu moins de voix que son concurrent. Mais c’est le jeu dans ce pays fédéral. Et la règle y est connue de tous et valable pour tous. Dans un match de tennis, ce n’est pas forcément celui qui marque le plus de points qui l’emporte. Wimbledon ne se gagne pas au contrôle continu et encore moins grâce à la discrimination positive. Si l’on ne possède pas l’esprit de compétition, il est préférable de pratiquer au niveau loisir.
Enfin, l’analyse s’est affinée en tentant de démontrer que Trump n’avait pas autant séduit l’électorat populaire que l’on voulait bien le prétendre. Là, on commence à reconnaître la défaite mais c’était à cause des hackers du Kremlin, du FBI et des poteaux carrés.
Maintenant se déroule le traditionnel « troisième tour social », baroud d’honneur des mauvais perdants qui n’aiment la démocratie que quand elle leur donne la fève. Tous ensemble, ils viennent hurler leur haine du fachisme, du sexisme et du complet-veston et faire cramer quelques poubelles qui l’avaient certainement bien cherché. Autour de cette cour des miracles virevolte une ribambelle de caméras de télévision qui, telle une nuée de vautours affamés guettant un convoi fourbu, viennent se disputer leur pitance de déchets organiques.
La dissidence antitrump n’a pas fini de brasser du vent. Tant qu’elle maîtrise son empreinte carbone, tout va bien.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.
Encore que l’appellation « service d’ordre » ne soit pas très appropriée… En l’occurrence, on cherche moins à faire régner l’ordre que la peur. La sécurité du quidam passe bien après la traque de l’ennemi de classe. « Nous ne sommes pas amis avec tout le monde ! » prévient Lordon. « Et nous n’apportons pas la paix ! » ajoute-t-il en faisant son autochristique (Matthieu X ,34-36) et sous-entendant par là qu’il apporte le glaive. Ce ne sont pas les vertus évangéliques que sa milice antifink est chargée d’appliquer mais, plus prosaïquement, de bouter de la place toute personne dont les penchants révolutionnaires laisseraient à désirer.
Verdict : acquitté. Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la salle. Quelques instants plus tard, le Dr Bonnemaison sortait du tribunal au milieu d’une haie d’honneur formée par son fan-club. C’est tout juste si les euthanasiés n’ont pas surgi de leurs tombeaux pour venir rendre grâces à leur bienfaiteur. Des esprits chagrins s’étonneront peut-être de la clémence du jury face à de tels faits. « Dura lex, sed lex », c’était avant.
On a même entendu la satisfaction de certains ministres – dont celle en charge de la Santé – après un tel jugement. L’euthanasie pour tous, c’est maintenant. Enfin, pas tout à fait encore : la grande faute à l’Église catholique, dixit le président de l’ADMD. Sous des faux airs de chanteur d’opérette, ce dernier fait ici montre d’un humour digne du meilleur comique-troupier – comment, en effet, le soupçonner de se livrer involontairement à un anachronisme aussi grossier ? Notre homme a fait des études. Il sait bien à quel point ses chefs s’interdisent la moindre marque de respect à l’égard des pratiquants du dimanche. Un souverain normal ne se rendra jamais à Canossa, y compris en jet privé. À l’inverse, on l’aura vu parmi tous les candidats à l’Élysée courir pieds nus rue Cadet pour solliciter la bénédiction des membres du Grand Orient.
La politique, tu y as cru dès que tu as capté que le Père Noël n’existait pas. Tu as vite compris que les partis ne travaillaient que pour le bien commun et pour un monde meilleur. Reconnais que nous avons la chance, ici, d’avoir une offre autrement plus fournie que pas mal de pays dans lesquels on économise le papier en n’autorisant qu’un seul parti à se présenter aux élections. Au fond, notre problème est qu’on ne sait que choisir, dans cette profusion d’enthousiasme, d’altruisme et de compétence. Les professions de foi superbement mises en musique ci-dessous vont peut-être t’aider à forger ta conscience militante…
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.
C’est bien connu, on trouve les plus beaux specimens de criminels de guerre chez les vaincus. L’Histoire est écrite par les vainqueurs qui s’attribuent logiquement l’habit de lumière du héros justicier. Quant au peuple défait, il fournira les seconds rôles sans lesquels le vaillant soldat de la liberté n’aurait personne à expédier ad patres, sous les hourras d’une Union Sacrée avide de sang impur.
L’été, vous l’avez constaté si vous avez la télé, les programmes proposés sont aussi alléchants qu’une purée sans sel accompagnant un Cordon Bleu mal décongelé. Eh bien, ici c’est pareil : l’activité est réduite, ou pour être exact, elle est encore plus réduite qu’en temps normal.
Puisque vous n’avez rien d’autre à faire, en ce moment, que de réfléchir à la tenue que vous allez porter à Paris-Plage, vous pouvez bien prendre le temps de regarder ces vidéos. Autrement, j’aurais pu gagner deux minutes en m’abstenant de publier ce simulacre de billet.
La politique, croyez-moi, ça ne s’improvise pas. C’est un art bien trop complexe pour des gens comme vous et moi, surtout vous. Car il faut savoir conjuguer culture générale, intelligence, aisance gestuelle, bronzage, et tout. J’en veux pour preuve cette prestation époustouflante d’un futur – ancien maintenant – président de la Vème République qui, en l’espace d’une minute, se mit dans la poche la jeunesse entière du pays pour plusieurs décennies.