« Notre liberté de nous habiller. Voilà ce que nous voulons. » Ça débute comme une tirade girondine devant la Convention. On imagine le locuteur : redingote, culotte, bas de soie, lavallière, tout le tralala. L’instant est solennel : les libertés fondamentales sont en jeu. Au besoin, on joindra le geste à la parole en coupant quelques têtes qu’on hissera sur des piques afin de montrer au despote que, désormais, le choix des étoffes appartient au peuple souverain.
Catégorie : Facheune
In vino (et mojito) veritas.
Soyons clairs : les déboires qu’a essuyés John Galliano il y a peu m’importent guère. Ce personnage mégalomane et décadent suscite sans doute une admiration servile autour de lui, une sorte d’idolâtrie envers ce créateur de costumes dont le génie consiste à déguiser ses clients en clowns à des tarifs indécents. Quant à moi, j’avoue avoir spontanément éprouvé une certaine joie en voyant s’abîmer ce minois précieux – à la moustache rétro et à la chevelure de starlette – au bas de la Roche tarpéienne qui sanctionne les déchéances médiatiques. Je suis persuadé, d’ailleurs, que si le vulgum pecus veut bien accepter l’existence d’une caste supérieure – pour laquelle le loyer à payer ou le ravitaillement en cocaïne ne sont pas des sources d’inquiétude – c’est parce que cette dernière sait lui offrir régulièrement le sacrifice de quelques uns de ses membres.
C’est donc la tête dudit John Galliano que la télé et internet nous ont permis de voir brandie au bout d’une pique. Mais ce n’était que justice puisqu’il avait commis l’irréparable : un dérapage verbal. Oui, c’est très grave. Un bouffon aviné qui, dans un bistro du Marais, déballe moultes horreurs à ses voisins de table met en danger la paix du monde. Forcément. Laisser impunies ses paroles, péniblement articulées par une bouche pâteuse, eût été d’une indulgence coupable. L’hydre fasciste guette, tapie au fond du moindre verre de mojito ou de gros rouge.
De Charybde en Scylla
Le féminisme, c’est quoi, au juste ? Personne ne sait trop, en vérité. Car celles qui s’en réclament n’ont pas toutes le même panthéon. Si le combat jadis mené par les Suffragettes force mon respect, j’avoue que celui des « tricoteuses » ne m’emballe pas autant. La stratégie fonctionne ainsi, d’ailleurs : aujourd’hui, les militantes les plus véhémentes essaient de nous faire croire qu’il n’est pas possible d’exercer le moindre tri au sein de tout ce qui fut l’objet des revendications féministes : c’est tout ou rien. Beaucoup estiment que l’avortement légalisé participe du même mouvement que le droit de vote accordé aux femmes ou l’égalité salariale dans l’entreprise. Je ne suis pas de cet avis.
Nous avons tous entendu parler de ces américaines qui jetèrent leurs soutiens-gorge pour exprimer leur refus d’une esthétique qui leur aurait été imposée par la gent masculine. Certaines finirent par rejeter toute forme de féminité – reflet évident de l’ancestrale domination phallocrate qui réduit la femme à un ornement – pour parvenir à la silhouette d’un sac de ciment. Après tout, pourquoi les hommes auraient-ils le monopole de la moustache et des cheveux en brosse, sur les chars fleuris paradant sur les Grands Boulevards ?
Éphèbophobie
Pour commencer, et avant d’aller plus loin dans cette étude aussi rigoureusement menée qu’un documentaire de Mordillat et Prieur, les deux faussaires de l’exégèse historico-critique, il faut tout d’abord définir ce qu’est un « jeune ». Un jeune est un être humain. Ou presque. Ce qui en fait une espèce à part n’est pas tant son âge – susceptible de varier de 7 à 77 ans – que sa culture – inculture conviendrait mieux, me glisse-t-on à l’oreille – qui le pousse à fuir tout ce que le génie humain a élaboré depuis que l’Homo Sapiens a troqué la peau de mammouth contre un costume de prêt-à-porter bon marché.
Il apparaît que le jeune goûte avec volupté la littérature classique. Non, je plaisante. En vérité, sa maîtrise insuffisante de la langue officielle le condamne inexorablement à préférer les Beat them all, ces jeux vidéo dans lesquels il laisse s’exprimer toute sa finesse d’esprit en dézinguant à foison des ennemis virtuels dans une guerre des gangs sans merci. À propos de langage, nous ne pouvons que déplorer les mutations tchernobyliennes ayant abouti à l’apparition d’un idiome qui rendrait malade plus d’un académicien. Décrypter ce sabir-SMS demande un effort comparable à celui qu’effectua Champollion face aux hiéroglyphes au sens encore inviolé. À la légère différence que le savant susnommé pouvait s’émerveiller devant ces signes extraordinaires d’esthétisme et de mystère, tandis que nous, nous sommes conduits vers une consternation proche du désespoir en face de ce dialecte issu des ravages conjugués des réformes éducatives, des messageries instantanées, et sans doute aussi d’une forme de dégénérescence cellulaire des masses cérébrales.
Less is mort
Comment ne pas avoir envie de rigoler devant ces échoppes hype du Marais ou de Saint-Germain-des-Prés ? Ambiance : grand local vide, murs blancs, sol en béton ciré et un portant au milieu de la pièce. Pardon, du showroom ! Et quatre ou cinq T-shirts qui pendouillent sur des cintres. En accrocher davantage ferait cheap. Ne vous avisez pas de demander s’il y a le même modèle en XL : on n’est pas chez Décathlon ! Quant à la taulière : une créature austère et évanescente qui hante les lieux, allant et venant de la cabine d’essayage au tiroir-caisse. Elle est forcément vêtue de noir : c’est le dress code exigé pour vendre des raretés en jersey au prix d’un RMI.
J’aime flâner, en passant d’une vitrine de boutique à celle d’une galerie d’art contemporain. Elles ont quelque chose du magasin de farces et attrapes, le côté joyeux en moins. Car le commerce branché exige que l’on escroque le chaland avec un air grave et prétentieux. Question de conscience professionnelle…
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.
T’es glam ou cheap ?
C’est une question que me posent 30% de mes lectrices (soit 1,66 lectrice) : « Comment savoir si je suis glam ou cheap ? ». Pour commencer, ne perds pas 107 ans à réfléchir : si tu es glam, tu le sais. Remarque, si tu es cheap, tu l’ignores certainement et tu pourrais même te croire glam, ce qui pourrait donner lieu à des quiproquos peu propices à tourner à ton avantage. Aussi, est-il nécessaire que tu identifies ta tribu – comme on dit de nos jours – et que tu ne cherches pas à t’aventurer chez les autres.
Autant te prévenir : le glam c’est du boulot, faut savoir… Ça ne s’improvise pas. Déjà, il est indispensable de se tenir quotidiennement informée des fluctuations de la mode, comme d’autres le font pour les cours de la Bourse. Parce qu’au moindre anachronisme vestimentaire, t’es morte ! En outre, il faut également utiliser un langage propre à cette communauté, du genre « un délire low cost mais classe », « c’est fresh up », du « early adopter », des trucs comme ça. Et si tu penses que « Louboutin, Chloé, Miu Miu, Kurt Geiger, Mary Jane de Barrats, Schuh, Shellys, Ballyhoo Vintage, Georgina Goodman, Sergio Rossi, Brian Atwood, Giuseppe Zanotti » sont les joueurs d’une équipe de rugby cosmopolite, alors laisse la mode tranquille, elle ne t’a rien fait !
Du vintage
Vous venez de tomber sur la page de ce site d’enchères sur internet qui vous interpelle : « VEND SUPERBE VESTE CUIRE MARON VINTAGE A SAISIRE ! » Vous avez compris ou bien (entre nous : je déteste cette expression) ? Une affaire comme ça, vous n’avez pas le droit de la rater. C’est quasiment un cadeau qu’on vous fait. Alors, vous attendez quoi, au juste, pour taper 80 (euros) dans la case prévue à cet effet, puis cliquer sur « Confirmer l’enchère », hein ? Car vous allez acquérir un objet rare. Rare, donc cher. Cher parce que vintage.