Catégorie : Cogitations

Une belle brochette

Le week-end dernier, la péninsule ibérique a été marquée par deux événements : la victoire de l’équipe portugaise à l’Euro de football et la défaite d’un matador espagnol à Teruel. La corrida en question n’était pourtant qu’un derby local. Mais si le match entre l’homme et le toro a tant ému les foules, c’est parce que le premier – largement favori chez les bookmakers – a perdu la rencontre avant le coup d’épée final, et de manière incontestable.

Cette divine surprise pour les torérophobes se manifesta par des youyous de réjouissance assez indécents. Trouver rigolo qu’un jeune marié se fasse tuer montre le niveau d’humanité de ces concombres bipèdes pour qui un pot de rillettes ou un charnier, c’est pareil. On la connaît, cette faune de victimes de la mode herbivore qui pousse rarement la cohérence jusqu’à se priver de ses signes extérieurs de richesse en peau d’animaux innocents… Du coup, les autorités espagnoles, qui ne sont pas très charlie, ont décidé de sévir contre tous ces antispécistes qui ont tweeté, youtubé et facebooké leur joie devant ce coup de corne fatal. Les plus fins limiers de la police judiciaire ont été chargés de les débusquer afin de leur faire expier leurs sarcasmes malsains. Les vegans vont prendre cher.

Continuer la lecture

La dictature pour tous

Il n’a que faire du « démocratisme all-inclusive », le camarade Lordon. Laisser le ci-devant Finkielkraut déambuler impunément au milieu de la Place de la République eût fait, selon lui, suspecter de collusion les gentils organisateurs de la Nuit Debout© avec les « rouges-bruns ». Manifestant la paranoïa typique du dictateur, le Pasionario des amphis évoque les tentatives d’infiltration du mouvement statique par les sbires de la Réaction. Heureusement, le service d’ordre veille en éloignant les importuns avec force insultes, crachats et plus si affinités.

Encore que l’appellation « service d’ordre » ne soit pas très appropriée… En l’occurrence, on cherche moins à faire régner l’ordre que la peur. La sécurité du quidam passe bien après la traque de l’ennemi de classe. « Nous ne sommes pas amis avec tout le monde ! » prévient Lordon. « Et nous n’apportons pas la paix ! » ajoute-t-il en faisant son autochristique (Matthieu X ,34-36) et sous-entendant par là qu’il apporte le glaive. Ce ne sont pas les vertus évangéliques que sa milice antifink  est chargée d’appliquer mais, plus prosaïquement, de bouter de la place toute personne dont les penchants révolutionnaires laisseraient à désirer.

Continuer la lecture

Au pilori

En apprenant que des plaintes seraient déposées à l’encontre du SM, nombre de libertins encagoulés ont été plongés dans un profond désarroi. Leur hobby n’aurait-il désormais plus droit de cité ? Certains de leurs coreligionnaires, plus férus en matière juridique, ont tôt fait de les rassurer : SM signifie aussi Syndicat de la Magistrature.

Car il se trouve que ledit SM dispose d’un local. La décoration y est spartiate comme dans tout local syndical qui prône l’intégrité, l’indépendance et l’incorruptibilité. Malheureusement, après le probable visionnage d’un épisode de D&CO, l’un des membres de cette confrérie en robe à épitoge herminée s’est cru récipiendaire du charisme de Valérie Damidot et s’est attaqué, sans complexe, à la décoration du lieu afin d’y apporter cette french touch qui rappelle au monde entier que notre patrie est celle de Fouquier-Tinville.

Continuer la lecture

La poule aux œufs d’or

Après avoir amoché, en 2008, Versailles avec les bibelots kitsch de Jeff Koons – le cru 2009 avec Xavier Veilhan étant à peine « moins pire » – le pétillant Jean-Jacques Aillagon récidive en accueillant Takashi Murakami et son univers manga transgressif. Ce dernier prétend – comme tout artiste contemporain qui a bien appris sa leçon de marketing – « dénoncer ». Car désormais, l’artiste se sent obligé de « dénoncer » : le verbe se mue en intransitif et la démarche esthétique devient politique dans une société risquant à chaque instant de retourner vers ses heures les plus sombres… Mouche du coche surnuméraire, il vient se joindre à la corporation des commissaires politiques plasticiens qui ont compris que, savamment dosée, la provocation pouvait se révéler très rentable financièrement parlant. De fait, la principale difficulté de leur métier consiste à jouer de leurs relations pour se trouver le mécène – collectivité locale ou industriel prodigue – qui voudra bien les entretenir.

Voici donc le château de Versailles meublé de ces objets ronds et multicolores dont la présence semble ne pas incommoder qu’une poignée d’irréductibles royalistes – les visiteurs japonais ou coréens n’ont pas nécessairement le discours formaté du parisien timoré qui ne craint qu’une chose : passer pour un béotien ou un réac. Mais l’art consommé du gérant des lieux comme de ses supplétifs – des consultants télévisuels en histoire de l’art qui parlent comme des vendeurs d’encyclopédies à domicile, à coups d’arguments prédigérés convoquant le pop art, l’impressionnisme et le baroque – vise, plutôt que de convaincre, à dénigrer toute opposition en la présentant comme l’expression des humeurs atrabilaires de dégénérés extrémistes, ce qui n’est pourtant pas toujours le cas.

Continuer la lecture

Bots-Arts

Il est bien loin le temps du Salon des Refusés et des artistes maudits. Plus d’un siècle après, le mythe perdure néanmoins. Mais aujourd’hui, c’est l’art officiel qui est devenu avant-gardiste, contestataire, transgressif, et bien sûr, très lucratif. Des quasi-fonctionnaires plasticiens émargent en usant de provocation, de mauvais goût, de pornographie, et tentent accessoirement de nous conscientiser à l’obsolescence de la recherche du Beau. Ils s’attaquent aux grandes menaces pour l’humanité : Bush, Berlusconi, Sarkozy, le Pape évidemment, ainsi que la pervenche qui distribue des contraventions aux véhicules mal stationnés.

Si la société de consommation est une cible incontournable, en revanche, le petit monde des galeristes, critiques d’art, collectionneurs pétés de thunes, mécènes institutionnels, bénéficie d’une mansuétude confondante. On ne crache pas dans la soupe quand on se fait entretenir.

Continuer la lecture

Liberté conditionnelle

« Que chacun prenne ses responsabilités et tire les conséquences ! » : ce genre de formule surgelée, vous l’entendez répéter chaque jour, aussi bien par un premier secrétaire du Parti Socialiste à court d’arguments que par un footballeur de l’équipe de France à court de neurones. Il faut dire que la langue de bois a des vertus que n’ont pas les autres idiomes internationaux – grec ancien, latin, français, anglais – et dont la première est la facilité avec laquelle on s’y forme. Elle offre un autre intérêt appréciable en livrant des phrases prêtes à l’emploi, ce qui dispense donc du périlleux exercice de composition linguistique que nombre de nos contemporains transforment immanquablement en massacre grammatical. C’est ce qu’appréciera tel sportif de haut niveau, déjà très occupé avec ses interminables séances de coups francs – ou de bimbo siliconée – à tirer.

Mais si la langue de bois s’est autant répandue à travers les médias, c’est peut-être aussi parce qu’elle permet à celui qui l’emploie de ne pas sortir des limites du politiquement-correct : depuis une trentaine d’années, l’espace de liberté de parole s’est singulièrement réduit, permettant à une ribambelle de moucherons-citoyens de restaurer l’esprit de 1793. L’usage de cette langue convenable – que l’on rapproche parfois de la novlangue orwellienne – apporte une sécurité quasi absolue. Puisqu’on arrive désormais à parler sans rien dire, plus aucun risque ! Ni d’être incompris, puisque ces arrangements de mots sont des façades cachant du vide, ni d’être compris, et c’est un peu ça le but. L’important, bien sûr, étant de pouvoir répondre dans le micro sans crainte d’y laisser sa peau, exercice ô combien difficile à notre époque de vertu impitoyable.

Continuer la lecture

La FIAC c’est moi !

Je n’aurai probablement jamais assez de mots pour exprimer tout ce que l’art conceptuel me donne à ressentir…

L’impression de toucher enfin à la vérité, à la plénitude, à la quintessence esthétiques…

Après des siècles de tâtonnements maladroits (Vinci, Vermeer, Fragonard, Turner, etc.)…

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.

Éphèbophobie

Pour commencer, et avant d’aller plus loin dans cette étude aussi rigoureusement menée qu’un documentaire de Mordillat et Prieur, les deux faussaires de l’exégèse historico-critique, il faut tout d’abord définir ce qu’est un « jeune ». Un jeune est un être humain. Ou presque. Ce qui en fait une espèce à part n’est pas tant son âge – susceptible de varier de 7 à 77 ans – que sa culture – inculture conviendrait mieux, me glisse-t-on à l’oreille – qui le pousse à fuir tout ce que le génie humain a élaboré depuis que l’Homo Sapiens a troqué la peau de mammouth contre un costume de prêt-à-porter bon marché.

Il apparaît que le jeune goûte avec volupté la littérature classique. Non, je plaisante. En vérité, sa maîtrise insuffisante de la langue officielle le condamne inexorablement à préférer les Beat them all, ces jeux vidéo dans lesquels il laisse s’exprimer toute sa finesse d’esprit en dézinguant à foison des ennemis virtuels dans une guerre des gangs sans merci. À propos de langage, nous ne pouvons que déplorer les mutations tchernobyliennes ayant abouti à l’apparition d’un idiome qui rendrait malade plus d’un académicien. Décrypter ce sabir-SMS demande un effort comparable à celui qu’effectua Champollion face aux hiéroglyphes au sens encore inviolé. À la légère différence que le savant susnommé pouvait s’émerveiller devant ces signes extraordinaires d’esthétisme et de mystère, tandis que nous, nous sommes conduits vers une consternation proche du désespoir en face de ce dialecte issu des ravages conjugués des réformes éducatives, des messageries instantanées, et sans doute aussi d’une forme de dégénérescence cellulaire des masses cérébrales.

Continuer la lecture