Hans Küng : une foi pas très catholique

Hans Küng est fatigué. Et fatigant, du coup. Les vitupérations qu’il répète en boucle, depuis des lustres, contre Rome ressemblent de plus en plus au crincrin produit par un vieux disque rayé. Pensant – comme beaucoup – que, répétées suffisamment, des inepties en deviennent des vérités, il vient d’écrire une Lettre ouverte aux évêques catholiques du monde, que les médias amis du Progrès ont trouvée fort intéressante et absolument conforme à leur credo humaniste et démocratique. L’ennui, c’est que venant d’un « théologien », ladite lettre manque cruellement d’arguments probants. Puisqu’il fut « expert » – nous rappelle-t-on – au Concile Vatican II, Küng aurait pu nous servir mieux que ce tissu de poncifs que l’on croirait alignés par notre Caroline Fourest nationale, dont l’arrogante cuistrerie en matière religieuse réussit à passer pour une marque d’autorité.

Car rien ne nous est épargné dans ce florilège de contre-vérités, d’à-peu-près et de raccourcis audacieux formulés à l’encontre de son ancien collègue de Tübingen, Josef Ratzinger : on y retrouve tout l’arsenal rhétorique du procès antiromain mené par les infos. Les chefs d’accusation sont graves : on reproche au Pape d’être catholique et de ne pas faire, du passé, table rase. Bien entendu, lorsque les griefs sont portés par un ancien professeur de théologie, le lecteur de bonne foi se prend à croire à la pertinence du propos. Hélas, l’étudiant qui formulerait une telle somme d’erreurs au baccalauréat canonique serait recalé ipso facto. En établir un relevé exhaustif serait aussi fastidieux pour moi – qui suis paresseux – que pour vous – qui l’êtes également. Nous nous contenterons donc d’un zapping – en français, un best of – des fioretti bien-pensants de celui qui réclame un Vatican III à la manière d’un élève turbulent qui demanderait à sauter une classe.

Küngnerie n°1 : Benoît XVI aurait « réintégré sans conditions dans l’Église des évêques intégristes ». Faux. Il s’est uniquement agi de la levée d’une peine canonique – l’excommunication latae sententiae, c’est-à-dire de fait, qui fut la conséquence immédiate des sacres épiscopaux accomplis par Mgr Lefebvre en 1988. Ce geste du Pape ne dispense absolument pas les personnes concernées de clarifier les questions théologiques – et non politiques ou historiques, faut-il le savoir – qu’elles contestent depuis le dernier concile, dans le cas où elles désireraient rentrer dans une pleine communion avec la communauté catholique.

Küngnerie n°2 : Benoît XVI agirait « même ouvertement contre le concile œcuménique, lequel, selon le droit canon, constitue la plus haute autorité de l’Eglise catholique ». Faux. La position « conciliariste » défendue par Küng a eu son heure de gloire au XVème siècle, au Concile de Bâle, et fut ensuite condamnée par Pie II, en 1460. Aujourd’hui encore, le droit de l’Église déclare : « Il appartient au seul Pontife Romain de convoquer le Concile Œcuménique, de le présider par lui-même ou par d’autres, ainsi que de le transférer, le suspendre ou le dissoudre, et d’en approuver les décrets » (Code de droit canonique, Canon 338).

Küngnerie n°3 : Benoît XVI aurait « réintroduit une prière préconciliaire » pour les Juifs. Faux. Il a fait modifier une des prières de la liturgie du Vendredi Saint afin, justement, de proposer une reformulation exempte du « pérfidis » mal compris à notre époque. Simplement, il ne s’agit pas d’une réintroduction puisque ce changement concerne le missel de 1962, et non pas l’actuel.

Küngnerie n°4 : Benoît XVI encouragerait « par tous les moyens le retour à la messe tridentine et [célèbrerait] à l’occasion lui-même l’eucharistie en latin, le dos tourné à l’assemblée ». Faux. Ou plutôt, stupide. Est-il nécessaire de rappeler que l’édition typique du missel actuel est en latin, langue qui fut – avant l’anglais – la langue commune en Occident ? Et que la prière ad orientem – qu’on retrouve dans quasiment toutes les traditions religieuses – n’a pas été abolie par la réforme post-conciliaire ? Enfin, dans ce domaine, le Pape n’a pas besoin d’ « encourager » : celui qui a « en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel » (Canon 331) dans l’Église n’a pas à s’abaisser au niveau du fidèle traditionaliste qui milite pour un retour à l’ancienne forme de la messe romaine.

Küngnerie n°5 : Paul VI, cette fois-ci, « deux ans à peine après Vatican II, et sans consultation de l’épiscopat, a publié une encyclique en faveur de la règle controversée du célibat ». Vrai. Et faux, bien entendu. Comment cette règle peut-elle être qualifiée de « controversée » alors qu’elle est en vigueur depuis près de vingt siècles ? Paul VI n’y est pour rien. Elle est avérée dès le début du IVème siècle, quand le Concile d’Elvire la formule comme discipline pour l’Église latine ; elle sera rappelée lors du Concile Œcuménique du Latran en 1123.

En cherchant un peu, on trouverait encore d’autres belles küngneries. Par exemple le reproche fait à Benoît XVI de ne pas accorder « l’autorisation des préservatifs pour lutter contre le sida ». Je ne savais pas qu’il était en son pouvoir d’autoriser ou d’interdire cela… Ou bien le souhait d’entendre la « reconnaissance sans équivoque de la théorie de l’évolution ». Sous la forme d’une déclaration dogmatique engageant l’Infaillibilité pontificale ?

Mais ce qui finit par agacer le plus, c’est cette prétention, martelée par Küng, d’exprimer « l’opinion de la plus grande partie des fidèles ». Il se place, évidemment, en porte-à-faux face à un « Benoît XVI [qui] semble de plus en plus isolé de la grande majorité du peuple chrétien ». On a juste oublié de fournir les résultats du sondage… Peu importe : l’Église, c’est lui ! doit-il penser en affirmant qu’ « un nombre inimaginable de gens ont perdu confiance en l’Église catholique ». Et lorsqu’il somme Benoît XVI de « répondre aux plaintes justifiées des croyants », il se voit sans fausse pudeur comme l’incarnation d’une vox populi normalisée par Golias. De toute façon, au risque de heurter les âmes soviétisées, l’Église n’a jamais été une démocratie : nulle trace d’une élection au suffrage universel parmi les Douze n’existe dans les évangiles. Le choix de Pierre serait vraisemblablement le fait de Jésus, seul, qui paraît bien s’être affranchi d’une quelconque consultation préalable des Apôtres. Hans attend certainement le jour où le Christ reviendra dans la gloire, juger les vivants et les morts, afin de lui donner son avis sur ce genre de méthode…

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.