Bon, pour une fois je ne vais pas traiter d’une question largement éventée : je vais même me joindre au buzz que vont probablement provoquer les quelques citations savamment choisies par les flash-info du futur livre d’entretiens avec le Pape Benoît XVI. BFM et i>télé les font déjà tourner en boucle. Bien entendu, ce qui a le plus intéressé ces journalistes pressés ne touche ni à la théologie ni à la spiritualité : ça ne fait pas vendre – et il faut un minimum de catéchisme pour pouvoir capter. Et puis comment pourraient-ils appréhender le discours de l’Église autrement que par ce regard superficiel et paresseux qui persiste à user de grilles de lecture complètement faussées ? Non, ce qui capte le chaland zappeur concerne avant tout le domaine éthique, spécialement quand cela tourne autour de la braguette. Désormais, la sexualité et la IIème guerre mondiale sont devenues les seuls sujets qui rappellent l’Église au bon souvenir des médias.
Le concours des consultants abonnés ne va certainement pas aider à y voir clair. Odon Vallet – le couteau suisse des débats sur la religion – a bien voulu servir, au débotté, quelques considérations empreintes de l’air du temps devant la caméra. Cette casuistique sur l’utilisation du préservatif lui a fourni de sérieux motifs d’espérer voir l’Église renier la doctrine qu’elle tient depuis vingt siècles. Quant à notre Caroline Fourest nationale, nul doute qu’elle s’exprimera sous la forme d’un « oui mais… » assorti des habituels poncifs visant ce Pape qui s’obstine à rester catholique. Si elle ne sait pas encore ce qu’elle va dire, moi je le sais. Enfin, Mgr Gaillot nous répétera ce sempiternel laïus qui le rend si populaire auprès des chrétiens qui ne croient pas en Dieu… Du moins si quelque journaliste pense à venir l’interviewer, bien sûr.
Mais sur le fond, de quoi s’agit-il ? Il semble – car le livre n’est pas encore sorti – que le Pape envisage des cas pour lesquels l’usage d’un préservatif soit une solution. Présenté ainsi, cela va conduire d’aucuns à projeter leurs fantasmes de capitulation doctrinale du Pontife au profit des dogmes du politiquement-correct. Et cela n’a pas tardé : les micros tendus à la sortie de la messe sous le nez de quelques fidèles ont recueilli les propos lénifiants qu’on souhaitait entendre de leur part, comme pour montrer qu’eux aussi, ils ont une conscience. Malheureusement, certaines idées reçues tiennent place, pour certains, de vérités à défendre ou à combattre, selon.
Le Pape ferait-il prendre un nouveau cap à l’Église concernant sa doctrine morale sexuelle ? Autant le dire tout de suite : non. L’encyclique Humanae Vitae, de Paul VI, garde sa validité et son exigence. Ce texte, publié en 1968, statuait de façon très claire sur les diverses pratiques de contraception. Et puisque l’Église – contrairement à une opinion répandue – n’a pas une position nataliste – la notion de « paternité responsable » le prouve – elle admet le recours aux méthodes naturelles de contrôle des naissances. Car la relation conjugale n’a pas pour fin la procréation. En revanche, et c’est l’axe principal de l’encyclique, elle doit demeurer « ouverte à la transmission de la vie ». Vous voyez la nuance ? Et l’on peut considérer que cette ouverture à la transmission de la vie est proportionnellement liée à la perméabilité du latex, qui est globalement nulle, nous affirment les fabricants.
Cependant, les milliers de victimes – passées et futures – du SIDA ne peuvent être traitées comme de vulgaires dégâts collatéraux. Une éthique qui se couperait de la réalité perdrait toute autorité. Il serait impensable de faire fi de cette tragédie et scandaleux de n’avoir aucune compassion pour ses victimes. Mais, au nom d’une fin juste – éviter la propagation d’un virus mortel – doit-on légitimer le recours à des moyens normalement rejetés ? « La fin justifie les moyens » n’est pas un principe chrétien. La fin juste appelle l’usage de moyens justes, eux aussi. La règle reste la règle. Et ici, un idéal à suivre.
Benoît XVI n’aurait donc pas disqualifié Paul VI mais donné un regard humain sur une situation à laquelle sont confrontées trop de gens aujourd’hui : le risque réel de la mort par contamination. « Non ; je ne veux pas la mort du pécheur; mais qu’il se convertisse et qu’il vive » déclare Dieu par la bouche du prophète Ezéchiel. Aussi, serait-il envisageable d’absolutiser une position morale – qui n’en devient pas caduque pour autant – lorsqu’on estime que des vies sont menacées ? Dès qu’il s’agit de protéger la vie, l’Église s’engage. Et c’est ce principe qui la guide quand elle évoque la peine de mort, l’euthanasie ou l’avortement. N’en déplaise à la co-secrétaire générale d’Act Up qui réclame une bénédiction solennelle de l’IVG, aucun pape ne serait habilité à contredire Dieu qui a fait graver « Tu ne tueras pas » sur une table de pierre, il y a quelques millénaires. Cette cohérence doctrinale n’a de cesse d’exaspérer les progressistes qui réussissent sans problème à manifester contre l’exécution d’un prisonnier le lundi et pour le droit de tuer un enfant à naître le mardi.
Donc gardons-nous de croire que le Pape donnerait quitus pour adultère et autre vagabondage sexuel : une chose est de statuer sur le domaine sanitaire, autre chose est de proposer un chemin exigeant, certes, mais qui offre un sens que la simple chimie ne fournit pas. Le « jouir sans entrave » de la génération mai 68 a porté ses fruits. Et ce sont les générations suivantes qui paient la note. Pour remplir sa tâche, Benoît XVI doit-il faire allégeance à l’esprit festif en allant défiler sur un char de la technoparade ? Est-il là pour servir, urbi et orbi, le discours hygiéniste que certains se plaisent à appeler « humanisme » ? Surement pas. Cependant, il doit porter le message chrétien qui ne se résume pas à un moralisme sec et rigide.
Car la foi dont il a à témoigner n’est pas un légalisme à suivre comme une recette de cuisine : c’est la révélation faite à l’homme d’un Dieu de miséricorde. La loi n’est pas une fin en soi : elle est faite pour l’homme, et non l’inverse (Mc II, 27). Elle ne permet même pas au fidèle se se trouver « en règle » devant son Créateur, comme le souligne l’apôtre Paul : « Personne ne sera justifié devant Dieu par sa pratique de la Loi » (Rm III, 20). Le vrai chrétien n’a rien d’un « pur » : c’est un pécheur pardonné (Mt IX, 13).
Dans la théologie morale catholique, il existe un principe appelé « loi de gradualité » – à ne surtout pas prendre pour une forme de gradualité de la loi : il envisage la personne sur un chemin vers l’idéal. Lorsque cet idéal n’est pas atteint, il importe déjà de constater l’existence un progrès, d’une avancée vers celui-ci. Ce principe, généralement évoqué dans des situations conjugales compliquées, nous concerne aussi d’une certaine façon : car, parmi nous, qui oserait se croire tout à fait OK et tellement différent de ces « pécheurs » à qui l’on jette un regard en coin ? En effet, si le discours éthique de l’Église n’a pas changé, le contraste avec les mœurs contemporaines s’est accru. Ainsi, on en est arrivé à se focaliser sur ces questions ciblées vers le bas-ventre alors que bien d’autres de nos comportements devraient s’offrir comme objets de notre examen de conscience.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.