Soyons clairs : les déboires qu’a essuyés John Galliano il y a peu m’importent guère. Ce personnage mégalomane et décadent suscite sans doute une admiration servile autour de lui, une sorte d’idolâtrie envers ce créateur de costumes dont le génie consiste à déguiser ses clients en clowns à des tarifs indécents. Quant à moi, j’avoue avoir spontanément éprouvé une certaine joie en voyant s’abîmer ce minois précieux – à la moustache rétro et à la chevelure de starlette – au bas de la Roche tarpéienne qui sanctionne les déchéances médiatiques. Je suis persuadé, d’ailleurs, que si le vulgum pecus veut bien accepter l’existence d’une caste supérieure – pour laquelle le loyer à payer ou le ravitaillement en cocaïne ne sont pas des sources d’inquiétude – c’est parce que cette dernière sait lui offrir régulièrement le sacrifice de quelques uns de ses membres.
C’est donc la tête dudit John Galliano que la télé et internet nous ont permis de voir brandie au bout d’une pique. Mais ce n’était que justice puisqu’il avait commis l’irréparable : un dérapage verbal. Oui, c’est très grave. Un bouffon aviné qui, dans un bistro du Marais, déballe moultes horreurs à ses voisins de table met en danger la paix du monde. Forcément. Laisser impunies ses paroles, péniblement articulées par une bouche pâteuse, eût été d’une indulgence coupable. L’hydre fasciste guette, tapie au fond du moindre verre de mojito ou de gros rouge.
Là où la plupart des gens qui seraient pris à partie d’une telle façon réagiraient par l’octroi immédiat d’une gifle bien ajustée, ou simplement par un mépris affiché pour cet individu sans intérêt, d’autres eurent un réflexe tout différent. Car notre ère médiatique a vu se développer, spécialement depuis l’avènement du fameux web 2.0, une nouvelle forme de vindicte populaire. Les divers sites internet – sites d’information, de partage de vidéos, et autres blogs qui se contentent le plus souvent de répéter les bêtises des copains – ont offert un outil formidable à ceux qui affectionnent la justice à la manière de Fouquier Tinville. À toutes les époques, on a connu de ces « bons français » qui, bénévolement, servaient d’auxiliaires de police avec un zèle confondant.
Aussi, si internet et les divers réseaux sociaux n’ont rien de mauvais en soi, un usage pervers peut en être fait, ce qui n’est pas rare. On y dénonce allègrement, moins par souci de vérité que par goût du sang versé à peu de frais. Les gens qui pensent que l’homme d’aujourd’hui est plus civilisé que ses ancêtres sont soit naïfs soit idéologues. Nous sommes pétris de la même glaise que Caïn meurtrier de son frère. Et ces clients de bar se faisant insulter par un énergumène pris de boisson auraient pu régler ce différend « sur le pré ». Ils ont préféré le laisser pérorer lamentablement en le filmant avec leur iPhone. Ils savaient exactement ce qu’ils faisaient. Et ce qui attendrait cette idole invertie et excentrique, une fois la vidéo publiée : une chute rapide, douloureuse et spectaculaire.
Ce sont des citoyens irréprochables qui, jadis, dénoncèrent leur voisin pendant la guerre ou firent tondre leur voisine à la libération. Aujourd’hui, ils ont de dignes successeurs parmi les adeptes des nouvelles technologies.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.