Athéocratie

A Charlie Hebdo, le numéro spécial caricatures islamophobes devient un marronnier. Est-ce un choix guidé par le marketing – on espère surfer sur la vague créée par un film américain de série Z qui fait le buzz dans tout le Moyen-Orient – ou simplement causé par le manque d’imagination de dessinateurs qui fonctionnent sur des schémas mentaux assez primaires ? Les nombreuses accusations de vénalité ont piqué au vif le directeur de la publication qui a affirmé que « Si les dessinateurs et auteurs de Charlie avaient couru après l’argent, ils n’auraient pas fait Charlie Hebdo [et blablabla] ». En gros, c’est pas pour faire du fric. C’est gratuit. Enfin, presque : 2,50€ multipliés par 200 000. Déjà, lorsque le site internet fut piraté, le patron venait rassurer le chaland : « Une chance tout de même : la boutique en ligne n’est pas touchée. » A quelque chose malheur est bon…

C’est sûr que, lorsqu’ils publient leurs habituels graffitis sur le Pape, le retour sur investissement est bien moindre. Il faut avouer que depuis que la Révolution a guillotiné une partie du clergé français et la IIIème République expulsé une autre partie hors de l’hexagone, les railleries contre l’Église ont peu à peu perdu de leur aspect sulfureux. On a beau verser dans la surenchère, il y a désormais toujours ce persistant goût de rassis. Les représentations ad nauseam de Benoit XVI en criminel / pédophile / nazi n’amusent plus qu’un lectorat conquis d’avance essentiellement composé de libres-penseurs congelés dans la doxa irréligieuse de la Belle Époque et d’adolescents en phase acnéique de révolte.

Ce rire gras aux dépens des croyants participe – paraît-il – de l’esprit français. Les gauloiseries anticléricales appartiendraient ainsi au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, au même titre que le tango argentin ou la lutte turque. Et puis surtout, on nous brandit les habituels totems conceptuels : liberté d’expression, protection de la laïcité, droit au blasphème, lutte contre l’obscurantisme… Le sacré a changé de camp et le monothéiste est prié de passer sous les fourches caudines des zérothéistes qui lui donnent son pain quotidien d’insultes, de calomnies et de crachats. L’humour allégué dispenserait donc du minimum syndical en matière de civilité et, surtout, de vérité. Car nos comiques nihilistes considèreraient comme une forme de prostitution la simple idée d’intégrer une part de responsabilité dans leur métier. Après eux, le déluge. En conférence de rédaction, on rigole certainement autant qu’on ne le faisait au Je suis partout de la grande époque, où l’on savait aussi s’affranchir de ce qu’on appelait jadis le « respect humain ».

Principe de précaution oblige, une escouade de CRS a été mobilisée pour assurer la sécurité des collaborateurs de Charlie Hebdo et de leurs iMac. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, leur patron s’est permis de fanfaronner en déclarant : « Au moins, pendant ce temps, ils sont pas occupés à virer des Roms » afin de garder sauve sa réputation d’apache insoumis. Le conflit intérieur qu’il doit vivre entre ses idéaux et l’instinct de conservation doit être particulièrement inconfortable, ces temps-ci. Et le ridicule de la situation n’aura pu lui échapper, tout idéologue qu’il fût : les matraques au service de son journal libertaire.

Cependant, les soutiens n’auront pas manqué et à un public conquis d’avance par cette subversion commerciale se seront joints des alliés inattendus. Se levant comme un seul homme, l’extrême droite française est venue témoigner de toute sa sympathie à l’égard de l’hebdomadaire satirique. Se souvenant sans doute d’un temps où la presse écrite savait rire de tout et usait à l’envi de dessins qui croquaient ces citoyens aux noms et aux croyances un peu trop exotiques, cette dernière s’est trouvé des valeurs communes avec la joyeuse équipe de Charlie Hebdo. Les ressorts sont les mêmes. Et l’argent n’a pas d’odeur.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.