Je ne sais pas ce que j’ai, en ce moment je ne me sens pas très Charlie. À vrai dire, cette forme d’acédie me tient depuis assez longtemps. Mais je ne dois pas être seul dans ce cas puisque on a même développé un traitement pour nous permettre de réintégrer la concorde nationale autour de valeurs aussi fédératrices que la vulgarité, le cynisme et la crétinerie.
Aujourd’hui sort le Charlie Hebdo nouveau auquel on feindra, à l’instar d’un Beaujolais du même acabit, de trouver un bon goût. Devant les kiosques à journaux, on va encore voir ces « citoyen-ne-s » faire le pied de grue pour obtenir leur dose d’insoumission subventionnée. Mais qu’on se rassure : désormais chaque foyer aura son exemplaire dudit journal avec sa poule au pot. Le précédent numéro avait été tiré à près de 8 millions d’exemplaires, celui-là sera tiré à 2,5 millions… pour commencer. Faudrait-il déboiser tout le pays pour fournir les imprimeries, nul ne devra dorénavant être privé de sa feuille de chou empreinte de cet anticléricalisme si désuet. Le bon peuple ne doit pas être privé de ses caricatures hebdomadaires sous prétexte qu’une spéculation morbide a fait grimper la cote du périodique satirique au niveau de celle d’une baudruche de Jeff Koons.
Parce qu’on nous a bien seriné cela : le blasphème est un droit. Un devoir même, si l’on songe à tous ces abonnés « malgré nous » que l’on n’a pas consultés sur leurs éventuelles allergies aux sempiternels amalgames entre papauté et fascisme, clergé et pédophilie, catholicisme et obscurantisme. Quant au lectorat fanatique – libres penseurs surgelés, hippies recyclés, humanistes psychotiques et autres fémènes en voie d’alphabétisation – il fait moins la fine bouche sur la grossièreté du procédé. Ce combo d’humour graveleux, de provocation facile et de moraline progressiste serait même emblématique de cet esprit gaulois que le monde nous envie : même Arnold Schwarzenegger est Charlie !
On ne tue pas pour une caricature, on ne tue pas pour une insulte, on ne tue pas pour un blasphème. Pour moi, c’est une lapalissade. Ça ne l’est pas pour tout le monde, malheureusement. En revanche, puisqu’on m’a bien expliqué que les team managers de Charlie Hebdo étaient des martyrs de la liberté d’expression – à peine mitraillés que canonisés – j’userai donc de la mienne avec aise et gratitude. Voltaire ne se serait jamais battu jusqu’à la mort pour que n’aient le droit de s’exprimer les chienlistes avec qui il n’était pas d’accord. Ainsi en était-il de nos saints papophages, aussi prompts à dénoncer et pétitionner qu’un militant zélé de la FIDL tiraillé entre ses idéaux universalistes, ses pulsions pubères et ses soucis acnéiques.
La réaction de leur avocat au projet d’un éventuel pastiche « Charpie Hebdo » montre que l’on ne peut pas rire de tout : « Dans ce contexte, le titre Charpie Hebdo évoque évidemment de manière directe ces événements et les victimes, ce qui nous semble parfaitement indécent, étant précisé qu’il ne saurait revêtir un quelconque caractère humoristique, dépassant largement les lois du genre de l’humour satirique acceptable ». Nous apprenons, au passage, que ses clients respectaient parfaitement la décence et servaient l’humour dans les lois du genre quand ils rigolaient de la mort des autres. Faut-il s’attendre à un énième amendement à la loi Gayssot afin d’y ajouter l’outrage à Charlie ?
Mais c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, s’est-on dit lors de la dernière conférence de rédaction. On s’en tiendra, à présent, à insulter les cathos. La pertinence a ainsi sacrifié à la prudence. Bouffer du curé, c’est pas glorieux mais ça fait vivre plus vieux.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.