Au milieu de cette immense pelouse artificielle, vingt cinq types au garde-à-vous devant un ballon. C’est du sérieux : on parle de foot. Ce samedi soir se joue la finale de la Coupe de France de football, solennité religieuse s’il en est. Le Président de la République en personne est dans les tribunes ; son absence relèverait probablement du cas de la « haute trahison » prévu par la Constitution. Tout le monde est là, surtout les sponsors.
Mais chut. Avant de lâcher les fauves, on se recueille dans le stade. Les haut-parleurs demandent à la foule de garder un moment de componction en mémoire des victimes de l’attentat qui vient de toucher Manchester. Vingt trois personnes sont aujourd’hui mortes dans ce carnage : des familles avec des enfants et des ados peut-être pas tous faciles. Des gens normaux qui venaient assister à un concert sans se douter qu’un illuminé avait planifié de transformer la salle de spectacle en boucherie. Le silence se fait.
La veille du match, une trentaine d’Égyptiens se sont fait massacrer dans un bus par d’autres exécuteurs des basses œuvres de Daesh. Cette fois encore, les enfants n’ont pas été épargnés. Cependant, ces Coptes n’ont pas eu l’honneur de la commisération du speaker du stade qui se faisait, à cet instant, la voix officielle du pays des droits de l’Homme et du supporter. Les gentils organisateurs du Stade de France avaient certainement eu vent du carnage mais ils n’ont pas jugé bon de disperser leurs suffrages au-delà de la Méditerranée. Charité bien ordonnée…
Parce que l’émotion semble se diluer une fois qu’on a franchi les frontières de l’OTAN. Dès qu’un drame se produit chez nous, on met en branle, illico presto, le protocole post-tuerie : Tour Eiffel pavoisée, pancartes stéréotypées – « JE SUIS CHARLIE », « PRAY FOR NICE », « MÊME PAS PEUR », « T’AURAS PAS MON POUVOIR D’ACHAT » – et ex-voto laïques – cadenas d’amour, bouquets de fleurs et nounours en peluche. Le son et lumière est rôdé maintenant. Après les apéros festifs, l’Occident s’est trouvé ses afterparty pour retisser du lien social.
La compassion c’est sympa mais ça finit par phagocyter les RTT du citoyen connecté : à force de sollicitations, l’engouement originel finit par se perdre. En outre, pourquoi se fatiguer à aimer le prochain comme soi-même s’il est susceptible d’être réactionnaire, bigot, ou pire : eurosceptique ?
Ce hiatus entre la prétention humaniste et le cynisme vomitif, c’est la quintessence de Charlie Hebdo, magazine bête et méchant – et très lucratif depuis 2015. La tuerie qui s’est déroulée dans les locaux du journal aurait pu amener ses survivants à modérer leurs sarcasmes morbides devant les souffrances d’autrui, sinon par sympathie – étymologiquement parlant – du moins par décence. Personne n’a oublié la vague d’émotion suscitée par l’attentat ; la Terre entière – enfin presque – était Charlie. Arnold Schwarzenegger lui-même prit la décision de s’abonner. Et le numéro 1178 de l’hebdomadaire fut imprimé à quinze milliards d’exemplaires afin qu’aucun être humain sur la planète ne puisse être privé de ce numéro à la couverture chouineuse et ambiguë.
Mais dès qu’il s’est agi d’évoquer les nombreuses catastrophes ultérieures, les dessinateurs ont vite séché leurs larmes et leur goguenardise professionnelle est revenue au galop. Une explosion en Belgique, un tremblement de terre en Italie ou un avion russe qui s’écrase, voilà de quoi susciter chez nos bouffons parisiens une légèreté – façon de parler – que l’on n’a pas trouvée lorsque ce furent leurs copains les victimes.
Arrogants, égocentriques et pleurnicheurs : les Occidentaux se donnent en spectacle et ils aiment ça. Ils tendent le bâton pour se faire battre mais les armes ont changé. « L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible. » affirmait Bernanos.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.