Elle n’a que faire des oukases du Parti, la camarade Danièle : elle n’abandonnera son logement low-cost qu’à la force des baïonnettes. Car il ne s’agit pas d’une HLM comme celles évoquées par Renaud au siècle dernier – blousons noirs, baston et rock and roll – mais d’un appartement plutôt confortable dans un quartier parisien en pleine gentrification. Techniquement, ce n’est pas un logement à loyer modéré mais un appartement à loyer libre qui, théoriquement, n’est pas réservé aux revenus les plus modestes. Ce qui tombe bien puisque les quasi 50KF que son mandat électif lui procure – et sans compter le salaire de sa moitié – devraient la diriger vers le marché privé de même que n’importe quel nanti. Sauf qu’ici, son bailleur n’est autre que la Ville de Paris et que cette dernière offre à ses clients des biens à des tarifs d’apparatchik.
En même temps même avec le discount – grâce au code promo CONSEILDEPARIS –, son loyer demeure prohibitif pour le prolétaire dont elle prétend défendre les intérêts. Verser un SMIC par mois, ça éloigne assurément la France d’en bas qui cherche un toit. Du coup, Danièle peut s’endormir, la conscience tranquille, en attendant le grand soir : elle ne confisque rien au col bleu mais plutôt à quelque tout petit bourgeois vénal. Elle ne lâchera rien et surtout pas ses avantages de fidèle cliente.
Mais n’allez pas croire que Danièle est mue par de basses motivations, qu’elle pourrait se laisser guider par l’appât du gain, par exemple. Les 30 ou 40% de ristourne dont elle bénéficie ne sauraient l’influencer dans ses choix immobiliers : elle en fait une affaire d’éthique. Quand on idolâtre Robespierre, on doit se montrer aussi incorruptible que feu Max. C’est une question de principe : se loger dans le privé équivaudrait à « enrichir un propriétaire privé et participer à la spéculation immobilière ». C’est aussi simple que ça. Le propriétaire bailleur, c’est un ennemi de classe, un profiteur digne des heures les plus sombres de notre Histoire. Et puis la propriété c’est le vol. Ses modèles politiques liquidèrent les koulaks ; ce n’est pas elle qui capitulera devant les rentiers de la pierre de taille haussmannienne.
De toute façon, hormis quelques gazettes de propagande capitaliste, personne ne voit de problème à cette situation. Les sbires chargés de gérer le patrimoine locatif de la municipalité semblent, cette fois, décidés à faire preuve de mansuétude. La solidarité marxiste-léniniste n’est pas un vain mot pour tovarich Ian, le porte-clefs adjoint au maire, qu’on a connu jadis bien plus sourcilleux sur la qualité des hébergés. L’attitude de Danièle contrevient légèrement à la volonté affichée par la mairie de ne pas voir des élus profiter de logements sociaux – car, HLM ou non, il s’agit bien d’un logement social. Mais ce n’est que péché véniel. Il n’y a pas mort d’homme, non plus. Elle n’a rien commis d’impardonnable, du genre battre le pavé parisien à la tête de la Manif pour Tous. À la mairie de Paris, on a des grands principes. Suffisamment grands pour qu’on puisse s’asseoir dessus quand on est entre copains.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.