Les derniers instants de sa vie auront été l’objet d’âpres batailles juridiques dont il ne pouvait avoir conscience. Des adultes de haut rang se disputaient pour savoir s’il avait le droit d’espérer des soins ou s’il finissait par coûter un peu trop cher à l’assistance publique. Bien entendu cela n’était pas formulé dans des termes aussi crus : les amis de l’euthanasie ont appris à utiliser les subtilités de la com’ en évitant les mots qui blessent. Bien que sa maladie ne fût pas clairement identifiée, on nous affirmait qu’il n’existait aucun espoir pour qu’il puisse aspirer à une vie normale, cool et surtout financièrement correcte. En gros, le débrancher, c’était lui rendre service. S’il avait pu s’exprimer, il aurait même dit « merci ».
Le petit Alfie est mort. Il a quitté ce monde étrange dans lequel ceux qui se prétendent « humanistes » sont si prompts à donner la mort aux plus faibles. On ne peut pas vraiment compter sur ces derniers pour cotiser ni pour booster la croissance économique. En plus, ils ne votent pas.
On aura tout lu d’inepties – ou saloperies – pour justifier le sort réservé à cet enfant. Continuer à le soigner relevait de l’acharnement thérapeutique, paraît-il. S’il y a bien eu acharnement dans cette affaire, il fut du côté des partisans de la mort – pollice verso. Certains affirment que, dans son cas, il fallait « laisser faire la nature ». C’est-à-dire le priver d’alimentation. Dans la nature, peu de bébés de 23 mois sont capables d’aller seuls au McDo pour se payer un menu enfant. Dans la nature, les adultes – généralement les parents – se chargent de cette tâche essentielle qui consiste à nourrir leur progéniture. Dans la nature, papa et maman soignent leurs enfants souffrants jusqu’au bout.
De toute façon, les progressistes n’ont que faire de la nature. Ou plutôt ils n’ont de cesse de la combattre. Leur aversion pour ce qu’ils qualifient d’ « obscurantisme » témoigne de leur refus inavoué de la réalité : la personne accomplie est, d’après eux, celle qui aura su se soustraire aux contingences de la vie. Quant à la question de la valeur d’une existence, ils la mesurent globalement à sa capacité à vivre sans temps mort et jouir sans entraves. Dans cette optique, les enfants plus ou moins handicapés ne sont pas vraiment les bienvenus. Ni pour eux-mêmes ni pour les contribuables qui s’inquiètent suffisamment pour le financement de leurs retraites.
Plusieurs personnalités ont exprimé leur soutien aux parents d’Alfie : Ted Cruz, sénateur républicain des États-Unis, Andrzej Duda, le président polonais, Antonio Tajani, président du Parlement européen et fondateur de Forza Italia, et le pape François. Il faut admettre qu’on est loin du progressisme marketing de Terra Nova. Mais loin d’émouvoir les décideurs locaux, ces prises de position leur donnèrent le sentiment qu’ils auraient à livrer bataille contre les forces de la réaction. L’équipe médicale de l’hôpital, bien décidée à se débarrasser d’un patient jugé encombrant était déterminée à ne pas s’en laisser conter. Le bambin devait mourir, d’une façon ou d’une autre.
Le juge Anthony Paul Hayden, qu’on qualifiera de cynique par politesse, vint apporter la caution judiciaire sans oublier, au passage, d’y ajouter quelques crachats destinées aux parents d’Alfie et leurs « ridicules sottises émotives ». Ces derniers n’étaient sans doute pas assez accablés à ses yeux. Si la biologie n’avait pas encore condamné le bébé, les tribunaux l’avaient fait – on ne s’étonnera guère de l’aval donné par la CEDH, saisie en dernier recours. Le juge Hayden a agi en pur idéologue ; ses homologues suivants n’auront été que des petits Ponce Pilate se lavant les mains d’un verdict dont ils ne se considéreraient ni responsables ni coupables.
Quant au bras séculier, il aura su, lui aussi, faire honneur à sa fonction en postant une escouade de policiers armés devant la chambre d’Alfie. Non pas pour protéger l’enfant, on ne peut plus vulnérable, mais pour éviter qu’il échappât aux autorités qui affirmaient ainsi leur droit de vie et de mort sur les citoyens les plus faibles. Désormais il n’était plus un patient mais un détenu.
Ils auront tout mis en œuvre pour qu’Alfie meure. Avait-il une chance de guérir ? Avec eux, aucune. Il s’est éteint le 28 avril pendant la nuit, laissant ceux qui l’aimaient dans le chagrin et les autres face à ce qu’il leur reste de conscience. Sa trop brève existence n’appartient pas à la casuistique mais à l’humanité. Une vie qui fut un combat pour un enfant qui ne connaîtra jamais le monde dégueulasse des adultes.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.