Bras d’honneur

Quand Anne Hidalgo reçoit des maçons à l’Hôtel de Ville de Paris, ce n’est pas nécessairement pour refaire l’enduit des murs ou colmater quelque fissure dans son palais presque royal. Parfois, c’est uniquement pour son bon plaisir, à condition que les maçons en question portent sautoir et gants – le bleu de travail et le bob, elle trouve ça moins sexy.

Son quartier général est une sorte de bunker idéologique bien à l’abri de la trivialité vécue par les citoyens. Parmi tous les fléaux qui s’abattent sur la populace, le dernier en date est la prolifération des rats, bestioles nihilistes qui n’ont même pas la décence d’épargner les quartiers pittoresques de la capitale. D’aucuns y discerneront un châtiment divin pour punir les électeurs d’Anne Hidalgo, d’autres n’y verront que la conséquence de la saleté ambiante. Pendant ce temps-là, à la mairie, on célèbre Che Guevara et les Femen, le guérillero sanguinaire et les baudruches hystériques, on organise des visites de musée à poil et du bal musette dans les cimetières.

La maîtresse de maison aime à organiser des mondanités afin de flatter telle ou telle frange de sa clientèle, selon les suggestions marketing de Terra Nova. En mettant à l’honneur Inna Shevchenko, on valorisait ce je-ne-sais-quoi aux antipodes de l’intelligence : la furie blonde, qui s’exprime principalement avec ses nichons, n’a jamais laissé de place à la subtilité dans sa communication – tant dans le fond que dans la forme. Celle qui s’est fait connaître en abattant une croix – un mémorial en mémoire des victimes du NKVD – se hasarde rarement à prononcer des phrases dépassant trois mots : la tronçonneuse lui convient mieux que la rhétorique. Et notre édile de la qualifier très sérieusement de « belle personnalité laïque qui défend les droits et l’émancipation des femmes ». Alors soit elle s’est trompée dans ses fiches, soit elle estime que les multiples happenings des Femen – souvent violents, toujours orduriers – servent la cause féministe. La « belle personnalité laïque » et son mouvement « sextrémiste » ne militent pas pour la séparation de l’Église et de l’État mais tout simplement pour une nouvelle constitution civile du clergé, version hippie-facho. Leurs slogans « FUCK POPE » ou « KILL KYRILL » en disent long sur leur aptitude au dialogue et leur considération pour la liberté religieuse. Moins stupides, ces jeunes femmes pourraient être vraiment dangereuses.

La fête était organisée par le Comité Laïcité République, émanation du Grand Orient de France dont toute critique fait passer ipso facto son auteur pour un conspirationniste de la pire espèce. Ainsi, les membres de cette vénérable institution ont estimé que les méfaits d’Inna se devaient d’être mis à l’honneur. Conscient du caractère subversif – modéré cependant puisqu’il ne s’agit que du catholicisme qui est piétiné – de l’octroi de cette distinction, le président dudit comité crut bon de préciser : «Nous sommes anticléricaux, mais pas antireligieux». Ce souci de nuance montre à quel point il importe aux initiés du GODF que leur aversion pour le christianisme ne soit pas interprété comme une haine de tous les cultes. Mais d’une forme de haine à l’autre, la France d’en bas ne fait peut-être pas trop la différence. Moi-même, j’avoue me perdre un peu dans ces cinquante nuances de grippe.

Supposons donc que l’Affaire des fiches et les vagues d’expulsions de religieux par milliers relèvent de l’anticléricalisme et non pas de l’antireligion. Ce distinguo aurait certainement fait une belle jambe aux personnes visées par la vindicte maçonnique. Lorsque les persécuteurs des carmélites de Compiègne ou du Père Hamel accomplirent leur sale besogne, ils n’eurent pas la délicatesse d’expliciter leurs motivations avec autant de subtilité. Ils auraient tout de même pu faire preuve d’un peu plus de pédagogie. Sur cette question les Femen n’ont jamais entretenu d’ambiguïté autour de l’odium fidei qui les anime. Leur message tient en deux mots peints sur leurs poitrines : « NO GOD ». Leur argumentation n’ira pas au-delà, faute de matière grise.

Une ancienne ministre socialiste avait émis le souhait « qu’on bouffe tous du curé », programme culinaire hardi, compte tenu de la raréfaction du clergé français. Son vœux pieux a néanmoins trouvé un écho sordide dans l’actualité du 26 juillet 2016, à Saint-Étienne-du-Rouvray : le poids des mots, le choc des couteaux. Le plus important, bien sûr, est de maintenir sauve la différence ténue entre l’antireligion et l’anticléricalisme, la haine aveugle que l’on condamne – au nom de la tolérance – et la hargne recuite que l’on cultive – au nom de la laïcité. Dès qu’il s’agit de déverser sa bile sur la religion, tous les chemins mènent à Rome.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.