C’est une vidéo qui est devenue « virale » – comme on dit – sur le Net et particulièrement dans la « fachosphère » – comme on dit aussi. Il s’agit d’un extrait d’Arrêt sur Images, émission sérieuse s’il en est, qui tourne au sketch montypythonesque. Le sujet du jour concerne la Marche des Fiertés et ses guéguerres intestines. Un verbatim des échanges permet d’en apprécier la saveur.
Daniel Schneidermann, le présentateur lance le débat avec une question : « Quatre invités, quatre hommes. Pourquoi a-t-il été si difficile d’inviter des femmes ? » Un ange passe. Les quatre invités se regardent en chiens de faïence ; la gêne est perceptible.
« Je ne suis pas un homme, Monsieur. » s’exclame l’un des invités.
« Vous n’êtes pas un homme ? » demande le présentateur surpris.
« Ah non. Non non. Je ne sais pas ce qui vous fait dire que je suis un homme mais je ne suis pas un homme. » On l’aura compris : le type assis juste à côté de Schneidermann n’est pas un homme. Ah non. Non non.
« Votre apparence. » se hasarde le présentateur qui considère qu’une barbe fournie et l’absence de protubérances mammaires trahit le mâle.
« Il ne faut pas confondre identité de genre et expression de genre sinon on va mal partir. » lui rétorque celui qui n’est pas un homme – malgré l’apparence. À la décharge du présentateur, il faut avouer que les dernières générations d’écoliers n’ont pas pu bénéficier d’une sensibilisation à la théorie du genre. La confusion entre identité de genre et expression de genre est encore assez répandue chez le vulgum pecus. Dans quelques années, l’erreur ne sera plus tolérée.
« Je suis non-binaire donc ni masculin ni féminin. » précise-t-il en déclarant, dans la foulée : « Ne dites pas qu’il y a quatre hommes sur le plateau : c’est me mégenrer et c’est pas très agréable. » D’autres populations mégenrent en usant plutôt du substantif « gonzesse », le geste accompagnant parfois la parole. C’est encore moins agréable qu’avec un présentateur mielleux qui n’a pas l’habitude de bolosser les gens qu’il interviewe.
« Je suis désolé si je vous ai offensé. » : le présentateur – de sensibilité progressiste – tente de réparer sa bévue.
Désormais on marche sur des œufs. Le moindre dérapage genré pourrait virer à l’incident diplomatique et priver France Télévisions d’une partie de son électorat. Un des quatre êtres humains – restons ouvert – invités se lance : « On peut regretter qu’on soit aujourd’hui quatre personnes qu’on pourrait identifier comme des hommes… » . Voilà, ménageons les susceptibilités, surtout quand elles sont brandies en étendards de fiertés.
Enfin, on pourrait croire que l’émission va reprendre son rythme de croisière. Mais chaque prise de parole peut devenir dorénavant la goutte d’eau qui met le feu aux poudres. Et l’occasion arrive à nouveau lorsqu’un débatteur exprime son regret de voir « que le plateau est très blanc aussi. » Sa remarque ne concerne évidemment pas la décoration du studio : la légèreté n’est pas de mise ici.
On sent, pendant une fraction de seconde, qu’une nouvelle réplique sismique est sur le point de se déclencher. Se tournant vers son voisin, le présentateur anticipe : « Il va nous dire qu’il n’est pas blanc. » Le numéro de duettistes fonctionne à la perfection. La réponse fuse : « Bah non. Je suis à moitié libanais. »
Le précédent intervenant tente de se rétablir : « D’accord… »
Très professionnel, le présentateur ajoute : « Bon… »
L’émission se poursuit, tant bien que mal. La suite est moins enlevée, pas aussi drôle.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.