Démophobie

Des barricades dressées, des voitures incendiées, des pavés qui volent : c’est comme ça qu’on aime Paris. Mais Paris en mai 68. Cinquante ans plus tard, les mêmes qui jettent un œil humide de nostalgie sur les émeutes du Quartier Latin trouvent nettement moins sympathiques les manifestations de « gilets jaunes » qui se multiplient depuis plusieurs semaines. Car depuis qu’ils sont devenus des notables, les anciens leaders soixante-huitards ont perdu le goût de l’agitation politique. Pas de cette agitation subventionnée dans quelques théâtres élitistes mais de celle, moins domestiquée, provoquée par cette plèbe qui ne fréquente pas plus Jeff Koons que La Princesse de Clèves.

Ce mouvement leur paraît d’autant moins estimable qu’il ne se berce pas d’altruistes utopies comme celles de leur jeunesse qui les poussaient à s’opposer à la guerre du Vietnam et à réclamer la mixité dans les dortoirs des cités universitaires : les gilets jaunes se battent seulement pour pouvoir payer de quoi se nourrir, se loger et se déplacer, en gros survivre jusqu’au 30 du mois. Ces considérations triviales n’émouvront jamais nos intellectuels droit-de-l’hommistes qui ne s’intéressent au peuple que tant qu’il n’est pas autochtone et surtout pas trop réel.

Outre leur méchante empreinte carbone, les gilets jaunes se voient accuser de tendances racistes, homophobes et antirépublicaines. Quelques débordements – opportunément capturés au smartphone – ont servi de pièces à conviction pour démontrer que ces « gars qui fument des clopes et roulent au diesel » sont vraiment infréquentables. Piochant dans le stock de poncifs ad hoc, leurs opposants les qualifient de « factieux », de « séditieux », de membres de « l’ultra-gauche » ou, pire, de « l’ultra-droite » – « ultra » semble plus efficace pour stimuler la panique que l’habituel « extrême » désormais dédiabolisé.

Se mêlant au concert de cris d’orfraie, Dany le plus-très-rouge s’est alarmé d’une « tentation autoritaire et totalitaire » dans le mouvement, à la manière d’un BHL qui évoque un « souffle rouge brun ». Il est loin le temps où l’auteur du Grand Bazar s’ingéniait à « choquer le bourgeois » par pensées, par paroles et par actions. Dorénavant il garde sa morgue pour cette faune indocile et cocardière qui rechigne à sauter quelques repas mensuels pour la transition énergétique.

« Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison. » a-t-il affirmé. Pour lui, il existe une chose bien pire que le fascisme : la démocratie.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.