Mauvaise presse

En ces heures sombres de pandémie, les murs ont des oreilles. On voit resurgir ces contribuables exemplaires qui reprennent les bonnes vieilles habitudes – peut-être ataviques – consistant à dénoncer le voisin aux autorités, au cas où. « Sur un malentendu, ça peut marcher. » affirmait Jean-Claude. Particulièrement lorsqu’il s’agit du murmure des orgues de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ce conservatoire idéologique d’un catholicisme hibernatus qui aurait préféré que la Parousie se déroule au XIXe siècle, dernier délai. Voilà que ses paroissiens auraient péché contre la crainte du coronavirus. Concernant le respect des mesures barrière, on a été bien moins pointilleux dans d’autres circonstances – funérailles ou marches blanches – : les protagonistes y sont généralement beaucoup plus vindicatifs dès qu’on les contrarie que le VLM en loden.

Certains médias ont fait une croix sur la déontologie afin de se payer les « adorateurs de Pâques » qu’il est bon d’épingler dès qu’une occasion se présente, progressisme oblige. Mais quand c’est Le Point qui lance les hostilités, on voit une quasi-union sacrée à sa gauche se mettre à sa suite en faisant l’impasse sur le fact-checking d’ordinaire tant vanté.

Dans l’article en question, on a droit à une contre-vérité par phrase, enfin presque car il n’est pas si facile de flirter avec la réalité sans verser dedans par moments. Avec le poids des mots, le choc de la photo prise avant le confinement et montrant une assemblée dominicale nombreuse et compacte. Pour le lecteur flemmard qui s’en tiendra au titre, au chapô et à l’illustration – le corps du texte tentant péniblement de faire correspondre les faits au teaser –, la messe est dite : ces fichus calotins ne font pas plus de cas des prescriptions prophylactiques que de la réforme liturgique post-conciliaire.

Il se serait donc déroulé une messe pascale « clandestine » en l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Elle était accessoirement diffusée en direct sur YouTube, sur la chaîne paroissiale qui dénombre plus de douze mille abonnés. En matière de clandestinité, les Chrétiens des catacombes faisaient preuve de davantage de ruse.

« En pleine crise du coronavirus, la paroisse traditionaliste a enfreint le confinement ». La phrase est habilement agencée pour mettre l’accent sur la gravité de l’affaire. Toutefois les règles dudit confinement ne proscrivaient pas la tenue de célébrations religieuses mais en fixaient les strictes conditions d’exercice. Un certain nombre de communautés paroissiales ont ainsi utilisé les réseaux sociaux pour permettre aux fidèles d’assister aux offices depuis leur canapé. Ailleurs, une autre messe pascale se célébrait autour de l’archevêque de Paris. Et pas dans un bunker souterrain mais dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Mais que fait la police ?

Le narrateur poursuit son récit accablant avec une emphase qui manifeste une sainte colère : « de nombreux fidèles assistaient à une messe pascale ». Une foule, quoi. Quand la transgression se mêle à une inconséquence limite criminelle, le journaliste redevient ce citoyen soucieux de la santé de ses semblables. Ainsi une « quarantaine de personnes se trouvait (sic) à l’intérieur » selon le témoignage d’un « fidèle ». Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu la vidéo sur les réseaux sociaux !

Le Point ayant jeté la première pierre, le reste de la presse hexagonale ne pouvait que rejoindre son élan lapidaire. Le Figaro évoque « une trentaine d’ecclésiastiques (sic), ainsi que des enfants de chœur » dans une terminologie qui trahit une ignorance patente du catholicisme. L’émission Quotidien, elle, ne pouvait louper cette occasion de brocarder ses ci-devant de prédilection avec sa morgue accoutumée et ses ricanements de cuistres. La séquence s’intitule : « La grosse fiesta du Covid ». « C’est sans aucun doute la meilleure histoire du week-end » annonce le présentateur. Les images de la liturgie pascale en cause y sont accompagnées de commentaires et de bruitages aptes à amuser le beauf qui s’ignore. Pour l’anecdote, on remarquera que Le Figaro comme Quotidien ont originellement graphié « Saint-Nicolas-du-Chardonnay » – les adresses web respectives des articles faisant foi – le nom du lieu. Ils auront sans doute pensé, au départ, qu’il s’agissait d’un débit de boissons. Les anticléricaux de jadis avaient, eux, un catéchisme de base.

Concernant le nombre de participants, les chiffres données par les forces de l’ordre – et leurs auxiliaires de circonstance – sont, pour une fois, supérieurs à ceux des organisateurs. C’est le site Arrêt sur images, peu suspect d’accointances papistes, qui souligne le décalage : « Le Point assure qu’une messe pascale clandestine en latin aurait eu lieu à Paris le 11 avril, occasionnant une visite de la police. Mais la cérémonie a été filmée, et… il n’y avait pas de paroissiens. » Il eût suffi à la légion de rédacteurs ayant repris l’infox initiale de vérifier les évènements par eux-mêmes en visionnant le replay, ce qui serait le minimum syndical à attendre de leur part. Au lieu de cela, ils se sont contentés d’une minable resucée du scoop délivré par les marchands de salades concurrents. Ces virtuoses du copier-coller appartiennent à une corporation croissante : la paresse écrite.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.