Sous-pape

Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Rien de nouveau dans ta boîte aux lettres, excepté les prospectus publicitaires pour l’hypermarché et la salle de sport voisins ? Toujours pas de réponse à ta candidature spontanée pour le siège épiscopal de Lyon ? Tu n’avais pourtant pas tardé pour faire savoir que tu possédais les compétences idoines, prenant de vitesse le Pôle Emploi du Saint Siège qui n’avait pas encore publié de petite annonce. Maintenant, on est en pleine période de vacances scolaires ; peut-être te faudra-t-il patienter jusqu’à la rentrée si ta missive atterrit sur le bureau du Pape tandis que celui-ci farniente à Castel Gandolfo. J’espère, d’ailleurs, qu’il sera bien reposé quand il en prendra connaissance, à son retour. S’il se fend d’une bulle te concernant, ton plan de carrière ecclésial pourrait en prendre un sale coup.

As-tu bien pensé à joindre ton CV ? Celui-ci présente un brillant cursus biblique et théologique. D’aucuns en conclueront hâtivement que tes propos tiennent la route. Malheureusement, les diplômes ne préservent ni de l’hérésie ni de l’idéologie et encore moins des poussées de mégalomanie. Regarde le frère Hans qui, depuis un quart de siècle, s’est lancé dans son combat desepéré – mais lucratif – contre l’Église. Oui, contre l’Église : en s’en faisant l’accusateur, avec une bonne foi qui laisse à désirer. Car lorsqu’ils débitent des contre-vérités à tour de bras, les sachants n’ont pas d’excuse. Voici que tu déclares : « C’est une proposition qui décoiffe et questionne profondément l’Église. Mais il faut bien comprendre que je suis quelqu’un d’intérieur à l’Église. J’ai une compétence affirmée. » Une compétence en quoi ? En coiffure ?

Administrer un diocèse et une page d’agitprop sur Facebook, ce n’est pas exactement la même chose. D’autant plus que l’option pour l’écriture inclusive trahit un tropisme idéologique plus propice à te mettre dans les petits papiers de la mairie de Paris que de la curie romaine. Et tes soutiens les plus notables, quand ils ne sont pas protestants, sont le fanzine anticlérical Golias et Marlène Schiappa. Cette dernière n’a pas encore bien compris le concept de séparation de l’Eglise et d’une secrétaire d’État. Bref, rien de très catholique, même en y ajoutant les quelques relicats séniles des progressistes post-conciliaires qui ont confondu Vatican II avec Woodstock.

Puis tu as créé ton énième groupuscule – « Toutes Apôtres », dédaignant pour une fois l’inclusivité orthographique mais pour la bonne cause féministe – avec site internet et réseaux sociaux afférents. Forcément, si les pontes du Vatican voient se lever une foul.e de chrétien.ne.s dopé.e.s au politiquement correct, à la discrimination positive et à la convergence des luttes, ils envisageront certainement une conversion du catholicisme romain en auberge espagnole. Un rapide état de tes troupes fait plutôt apparaître quelque chose qui se rapproche de la Cour des miracles. Ces pétroleus.e.s new-age semblent assez remonté.e.s contre le sensus fidei dont iels se battent les … Et comme d’habitude on se dispense d’arguments substantiels répondant à la question « Pourquoi ? » en se contentant de balancer un médiocre « Pourquoi pas ? ». Les vrai.e.s théologien.ne.s font de la théologie, pas de la rhétoriqu.e syndicalist.e à deux ball.e.s.

Dans le tsunami d’affirmations péremptoires dont tu gratifies les médias complaisants, on frôle parfois le grotesque : « Je pense que la gouvernance de l’Église est fondée sur des bases trop étroites pour être vraiment solide. » Si cette dernière n’avait pas tenu deux mille ans sur ses bases trop étroites, on aurait pu donner du crédit à ton pronostic. Si tu aimes parier, essaie plutôt les matches de football : tu auras certainement davantage de flair. On pourrait se lancer dans une exégèse de tes multiples interviews pour y déceler un écho aux 95 thèses de Luther. Ton plaidoyer fait feu de tout bois, empruntant, à d’autres moments, au MLF ou au PS des revendications de parité qui n’ont pas plus d’écho au Grand Orient de France sans que cela n’émeuve outre mesure tes copains de la presse subventionnée. Ainsi tu t’égosilles : « Certaines ont des responsabilités, mais il y a toujours un plafond de verre et la meilleure preuve, c’est qu’il n’y a pas de femmes évêques. » C’est moins contre le plafond de verre que contre le plancher que tu risques de te cogner avec ce genre d’envolée.

Le temps que je termine ce texte, un successeur a été nommé. Un mâle cisgenre. Aristo et ancien militaire, pour aggraver son cas aux yeux de tes cop.a.i.n.e.s. Et comme ultime camouflet pour toi : il est catholique.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.