Auteur/autrice : Moi-même

Détournement

Une des grandes forces de la bêtise tient à son caractère polymorphe : celui-ci la rend quasiment indécelable en la dissimulant derrière des semblants de pertinence qui ont tôt fait d’abuser nos esprits trop souvent enclins à la paresse. La pesanteur naturelle qui marque toutes les réalités de ce monde se fait aussi cruellement sentir à propos de certains artefacts : leur raison d’être demeurera à jamais obscure aux yeux de ceux qui tenteront de percer le mystère de leur cause finale. Les moins curieux, qui persistent à prendre leur propre absence d’esprit critique pour du pragmatisme, donneront quitus aux créateurs des gadgets les plus incongrus, estimant que tout ce qui se vend a forcément une raison d’être légitime. L’existentialisme appliqué au commerce…

Vous avez inévitablement dépassé, sur l’autoroute, une automobile familiale arborant en poupe un losange aux couleurs criardes et sur lequel figurait ce message rudimentaire : « Bébé à bord ». Nous considérerons, a priori, que le propriétaire dudit véhicule respecte davantage les limitations de vitesse que vous ne le faites ; ceci lui permettant de ne pas voir le capital de points de son permis se réduire comme une peau de chagrin, c’est-à-dire comme le vôtre. D’un autre côté, on s’en tape un peu de savoir qui roule le plus vite, de vous ou de lui. L’important est que vous ayez eu le l’occasion de prendre connaissance de la précieuse information délivrée par ce panonceau collé sur la lunette arrière : un nouveau-né est présent, là, dans cette voiture juste devant vous.

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Aux grands hommes, la patrie reconnaissante

Un journal du dimanche dont je tairai le nom vient de publier son Top 50 des personnalités préférées des français, palmarès dont lesdits français attendent la publication annuelle avec une impatience douloureuse, tant cette information – qui sera aussitôt relayée et commentée par les médias hexagonaux – leur sert de boussole dans la vie de tous les jours. Car le chaland, devenu quelque peu oisif et paresseux depuis qu’il s’est mis à sécher l’assemblée paroissiale, cherche de quoi meubler le jour du Seigneur avec quelque chose de plus nourrissant que le sempiternel bilan des matches de foot de la veille. Il aime qu’on lui parle de ces people qui rendent sa vie plus belle et l’aident à croire en la bonté intrinsèque de l’être humain.

Et chaque année, il voit réapparaître les mêmes noms dans ce martyrologe laïc : ceux de ses compatriotes qui, malgré le taux d’imposition cruel auquel ils sont assujettis, ont su garder intacte leur compassion envers leurs semblables – ou quasi – qui les regardent à la télé. On se rappellera toutefois la présence jadis récurrente, à la tête de ce classement, de l’Abbé Pierre, ancien député à l’accoutrement rustique, qui fut donc non seulement un homme politique – statut normalement proscrit pour atteindre le sommet de ce Top 50 – mais aussi catholique, d’une façon suffisamment théâtrale et anticléricale pour pouvoir néanmoins susciter la sympathie de la ménagère de moins de 50 ans et son époux qui n’ont cure de doctrine papiste.

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Les maçons du cœur

Il y a tout juste cinquante ans, les dirigeants est-allemands durent ériger un mur afin d’endiguer l’afflux d’occidentaux avides de collectivisme et de folles virées en Trabant. Force est de constater que ledit mur fut d’une redoutable efficacité, au vu du nombre dérisoire de transfuges vers ce paradis communiste.

Fruits de la Passion

Est arrivé ce qui devait arriver : quelques énergumènes ayant la tête près du bonnet ont apporté leurs outils de bricolage pour faire un sort à cette œuvre de pure provocation – qui ne s’avoue pas comme telle, évidemment – exposée dans une galerie d’art avignonnaise. Une émotion obligatoire a, bien sûr, suivi cet acte de vandalisme chez les défenseurs professionnels de la liberté d’expression. Notre ministre de la Culture s’est indigné comme il se doit, lui qui s’était montré nettement plus pudique lorsqu’il s’agissait de défendre l’œuvre de Céline, il y a peu. Passons. Quant au directeur de la collection Lambert, il a usé d’un champ lexical bien pauvre pour qualifier le forfait commis : retour au Moyen Âge, à la barbarie, à l’Inquisition… Les clichés habituels, quoi.

Mais au fond, ces jeunes « ultracatholiques », loin de porter atteinte au succès de ladite exposition, vont lui assurer au contraire une publicité qu’elle n’aurait pas eue sans leurs coups de marteau et de tournevis. Preuve de l’instrumentalisation de leurs méfaits, le cadre endommagé n’a pas été réparé. S’agissant d’une photo sous verre, il aurait pourtant suffi d’un aller-retour chez Castorama et d’un retirage de la photo pour tout remettre en son état originel, le tout pour quelques dizaines d’euros. Là, en bons commerçants, les responsables du lieu ont choisi de la laisser abîmée, afin de montrer les outrages infligés par les suppôts de l’obscurantisme. Autodafés, chasse aux sorcières et gégène sont à nos portes, cherchent-ils à nous faire comprendre. Eux luttent pour la liberté d’expression. Enfin, surtout la leur. Une liberté no-limit, qui prétend vouloir susciter des réactions. Et lorsque les réactions se produisent réellement, on se mettra à pleurnicher comme Caliméro. En gros, ils aimeraient pouvoir cracher avec délectation sur le chaland en bénéficiant d’une impunité totale et d’une protection garantie.

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Voire même…

Dans un précédent billet, j’avais utilisé l’expression « voire même » et précisé – en anticipant des réactions qui n’ont pas manqué par la suite – qu’elle était correcte et non redondante. J’ai reçu effectivement, à plusieurs reprises, des remarques contestant mon choix terminologique. Le Petit Robert, d’ailleurs, déconseille cette tournure. En revanche, le dictionnaire des Pièges et difficultés de la langue française déclare : « Parfois voire même est considéré à tort comme un pléonasme incorrect. En réalité, c’est un archaïsme ».

Je prendrai donc le Grévisse comme juge de paix pour trancher cette question. Il affirme : « On trouve plus souvent dans le même sens voire même, parfois condamné comme pléonastique, mais qui peut alléguer en sa faveur son ancienneté et l’approbation de l’Académie (depuis 1835), ainsi que celle de Littré : Quelques uns, VOIRE MÊME beaucoup, ont voulu prendre leur part de sa gloire (MÉRIMÉE). — Les couteaux et pipes, VOIRE MÊME les chaises, avaient fait leur tapage […] à la fin de chaque couplet (MUSSET). — Je serais bien homme à la manger sans citron ni épices. /  VOIRE MÊME sans sel, répondit le Tyran (GAUTIER). — On est toujours plus faible que n’importe qui dans les chemins, même au comble de la puissance, VOIRE MÊME d’autant plus qu’on est plus puissant, si l’on n’est pas accompagné (JOUHANDEAU). —  Le prolétariat inquiète, VOIRE MÊME terrorise les dirigeants (CURTIS). — Ce remède est inutile, VOIRE MÊME pernicieux. »

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.

Parfum de scandale

Aujourd’hui, c’est au tour d’une exposition artistique présentée à Avignon de faire parler d’elle à cause de – ou grâce à ? – ce qui est devenu une sorte de figure imposée pour nombre de « plasticiens » : le blasphème. Je ne me lancerai pas dans un discours sur un respect des croyances à géométrie variable – il semble néanmoins que les sans-foi reçoivent davantage de considération concernant leurs opinions métaphysiquement nihilistes. Non. Je me contenterai d’évoquer mon sentiment de lassitude profonde devant ces entreprises d’escroquerie en bande organisée que représentent un bon nombre d’expositions d’art contemporain. Le talent ne réside plus dans cette capacité de l’homme à produire quelque chose de beau mais dans l’utilisation du scandale facile et grossier, à la fois comme moyen de publicité et comme légitimation d’une créativité artistique. Car la transgression est devenue un moyen aisé pour faire du buzz, donc du fric. Ce qui, il y a un siècle, choquait encore le bourgeois fait dorénavant se pâmer de snobisme le troupeau des pique-assiette de la culture grouillant chez des parvenus qui s’achètent à grands frais une place dans le monde de l’esprit.

Ils s’appellent Andres Serrano, Maurizio Cattelan, Hermann Nitsch ou encore Chris Ofili, ces margoulins qui ont appris à vendre du vent – même malodorant – au prix de l’or. Une telle entourloupe relève effectivement de l’art. Du grand art, même. Reconnaissons-leur tout de même cette aptitude à savoir provoquer sans prendre des risques démesurés. Ce sont des artistes, pas des kamikazes : lorsqu’on a une famille à nourrir, on calcule avant d’énerver les gens. Et une fois qu’on a mis en balance bénéfices escomptés et périls encourus, on constate que la foi chrétienne offre le meilleur taux. En guise de métaphore, il est moins hardi de piquer le sac à main d’une vieille dame que de faire un braquage à la Banque de France. Parce que, avant de se livrer à leurs forfaits avant-gardistes, ils prennent évidemment le temps de réfléchir : ils ne se sentent aucune vocation au martyre. Ils ont, bien entendu, intégré la variance du facteur risque en fonction de la religion bravée. Ceux qui ont essuyé les plâtres, avant eux, peuvent témoigner du fait qu’une fatwa, ça calme son homme. D’autres ont vu leur cote de popularité baisser au fil de leurs comparutions répétées devant la 17ème chambre correctionnelle. Courage n’est pas témérité, après tout.

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Votez MDR !

Certains estimeront qu’un parti politique comme celui-ci ridiculise la démocratie. Je pense, au contraire, qu’il l’illustre parfaitement.

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.

Sinistre mémoire…

Louis-Ferdinand Céline… Tout le monde en pense quelque chose. Comme de la météo ou du Pape. Il y a bien sûr ceux qui sont contre : « C’est un salaud ». Mais il y a aussi ceux qui sont pour : « C’est un salaud. Mais un grand écrivain. Mais un salaud ». Cochez la case de votre choix. Quel choix… Notre liberté nous est présentée comme un QCM : les chemins à emprunter sont goudronnés et balisés. Si tu optes pour le hors-piste, tu prends tes responsabilités : Louis-Ferdinand, on n’oserait pas l’évoquer sans se barricader derrière ces clichés d’infamie, de haine et d’heures sombres. C’est forcément un sale type, quelqu’un d’infréquentable à propos de qui l’assistance d’un coaching idéologique est vivement conseillée au néophyte en littérature.

Ne revenons pas sur le génie furieux de sa plume. Unanimité ou quasi. Mais le bonhomme… Est-il ce parangon absolu de saloperie que notre époque se complaît à dépeindre ? Un individu à mettre au ban de l’humanité, avec quelques autres intellectuels qui n’ont pas, eux, échappé aux balles vengeresses d’une épuration sévère mais injuste ? C’est tellement pratique de se façonner des épouvantails afin d’oublier notre propre laideur. Car nous sommes tous pétris de la même glaise, et la nôtre n’est pas plus pure que celle des traîtres qui furent condamnés à l’indignité nationale, à une rafale FTP ou à une tonsure non monastique sous les hourras d’une foule en liesse. Avoir été dans le sens de l’Histoire, c’est là le vrai discriminant entre ceux qui iront au Panthéon et ceux qui iront à la fosse commune.

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