Étiquette : art contemporain

WTF, OMG & DTC

Ce fut avec une grande joie que j’avais appris le dégonflage, sinon de l’ego d’un plasticien qui eût mieux fait de travailler le béton armé, du moins de son œuvre le lendemain même de son érection. Il faut dire que son sapin de Noël était carrément nul. Mais quand on est aaartiste,  faire briller les yeux des bambins n’est pas une priorité au moment où, à la FIAC, les spéculateurs se pressent pour investir dans la supercherie conceptuelle. L’arbre pneumatique a donc été –  symboliquement – abattu et c’est bien fait pour sa goule. On nous serine tant avec ces créateurs subversifs qui, au travers de leurs trouvailles, cherchent à susciter le questionnement. Cette fois-ci, on a trouvé la réponse, et démocratiquement pour une fois : la plèbe locale a réagi, ce qui devrait satisfaire Paul McCarthy, au fond.

Il faut ajouter que ce dernier faisait dans le subliminal : si le sapin était si moche, c’est qu’il s’agissait en fait d’un objet hybride. Dès le début, j’avais bien repéré la similitude avec un pion de Monopoly. Installé Place Vendôme, on pouvait aisément saisir la finesse de la saillie anticapitaliste. Choquer le bourgeois demeure un axe majeur de l’art contemporain : ça coûte pas cher et ça peut rapporter gros.

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Place du chapelet

« Puisque tu es tiède, et ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. » Et hop, on nous ressort le fameux passage de la Lettre à Laodicée (Ap III, 16) comme l’argument massue qui doit nous discréditer aux yeux, sinon du monde, du moins de notre Créateur qui honnirait donc toute forme de mesure dans l’action comme dans la pensée parmi ses fidèles. C’est ainsi que ceux qui soutiennent les actions « coup de poing » contre les spectacles jugés blasphématoires – à tort ou à raison, peu importe ici – nous font passer en comparution immédiate au Jugement Dernier pour un verdict sans appel et sans clémence. Voici quelques semaines, une poignée de jeunes gens animés du zèle de la foi sont allés interrompre une pièce de théâtre estimée « scandaleuse » par avance – on ne sait en vertu de quelle prescience – en montant sur la scène et en alternant, devant un public médusé, exercices de dévotion mariale et gestes de boxe anglaise. Leur intervention a fait évidemment couler beaucoup d’encre virtuelle. Parmi les critiques suscitées, certaines émanaient d’autres catholiques qui se sont fait taxer aussitôt d’apostats ou équivalents par certains de leurs coreligionnaires.

La vraie question ne consiste pas à savoir si Sur le concept du visage du Christ ou Golgotha picnic sont des œuvres sacrilèges, décadentes, profondes ou clownesques. Chacun aura son avis là-dessus, y compris ceux qui ne font que répéter les leitmotiv dont les abreuvent ceux qui pensent pour eux.  Les foules ont un goût prononcé pour le « ouïe dire » qui offre un confort intellectuel incontestable, faute de garantir son intégrité à la vérité. En revanche, nous pouvons nous demander si l’honneur du Christ est davantage menacé par les extravagances d’un artiste d’avant-garde ou par le lobbying agressif de certains chrétiens courroucés.

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Fruits de la Passion

Est arrivé ce qui devait arriver : quelques énergumènes ayant la tête près du bonnet ont apporté leurs outils de bricolage pour faire un sort à cette œuvre de pure provocation – qui ne s’avoue pas comme telle, évidemment – exposée dans une galerie d’art avignonnaise. Une émotion obligatoire a, bien sûr, suivi cet acte de vandalisme chez les défenseurs professionnels de la liberté d’expression. Notre ministre de la Culture s’est indigné comme il se doit, lui qui s’était montré nettement plus pudique lorsqu’il s’agissait de défendre l’œuvre de Céline, il y a peu. Passons. Quant au directeur de la collection Lambert, il a usé d’un champ lexical bien pauvre pour qualifier le forfait commis : retour au Moyen Âge, à la barbarie, à l’Inquisition… Les clichés habituels, quoi.

Mais au fond, ces jeunes « ultracatholiques », loin de porter atteinte au succès de ladite exposition, vont lui assurer au contraire une publicité qu’elle n’aurait pas eue sans leurs coups de marteau et de tournevis. Preuve de l’instrumentalisation de leurs méfaits, le cadre endommagé n’a pas été réparé. S’agissant d’une photo sous verre, il aurait pourtant suffi d’un aller-retour chez Castorama et d’un retirage de la photo pour tout remettre en son état originel, le tout pour quelques dizaines d’euros. Là, en bons commerçants, les responsables du lieu ont choisi de la laisser abîmée, afin de montrer les outrages infligés par les suppôts de l’obscurantisme. Autodafés, chasse aux sorcières et gégène sont à nos portes, cherchent-ils à nous faire comprendre. Eux luttent pour la liberté d’expression. Enfin, surtout la leur. Une liberté no-limit, qui prétend vouloir susciter des réactions. Et lorsque les réactions se produisent réellement, on se mettra à pleurnicher comme Caliméro. En gros, ils aimeraient pouvoir cracher avec délectation sur le chaland en bénéficiant d’une impunité totale et d’une protection garantie.

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Parfum de scandale

Aujourd’hui, c’est au tour d’une exposition artistique présentée à Avignon de faire parler d’elle à cause de – ou grâce à ? – ce qui est devenu une sorte de figure imposée pour nombre de « plasticiens » : le blasphème. Je ne me lancerai pas dans un discours sur un respect des croyances à géométrie variable – il semble néanmoins que les sans-foi reçoivent davantage de considération concernant leurs opinions métaphysiquement nihilistes. Non. Je me contenterai d’évoquer mon sentiment de lassitude profonde devant ces entreprises d’escroquerie en bande organisée que représentent un bon nombre d’expositions d’art contemporain. Le talent ne réside plus dans cette capacité de l’homme à produire quelque chose de beau mais dans l’utilisation du scandale facile et grossier, à la fois comme moyen de publicité et comme légitimation d’une créativité artistique. Car la transgression est devenue un moyen aisé pour faire du buzz, donc du fric. Ce qui, il y a un siècle, choquait encore le bourgeois fait dorénavant se pâmer de snobisme le troupeau des pique-assiette de la culture grouillant chez des parvenus qui s’achètent à grands frais une place dans le monde de l’esprit.

Ils s’appellent Andres Serrano, Maurizio Cattelan, Hermann Nitsch ou encore Chris Ofili, ces margoulins qui ont appris à vendre du vent – même malodorant – au prix de l’or. Une telle entourloupe relève effectivement de l’art. Du grand art, même. Reconnaissons-leur tout de même cette aptitude à savoir provoquer sans prendre des risques démesurés. Ce sont des artistes, pas des kamikazes : lorsqu’on a une famille à nourrir, on calcule avant d’énerver les gens. Et une fois qu’on a mis en balance bénéfices escomptés et périls encourus, on constate que la foi chrétienne offre le meilleur taux. En guise de métaphore, il est moins hardi de piquer le sac à main d’une vieille dame que de faire un braquage à la Banque de France. Parce que, avant de se livrer à leurs forfaits avant-gardistes, ils prennent évidemment le temps de réfléchir : ils ne se sentent aucune vocation au martyre. Ils ont, bien entendu, intégré la variance du facteur risque en fonction de la religion bravée. Ceux qui ont essuyé les plâtres, avant eux, peuvent témoigner du fait qu’une fatwa, ça calme son homme. D’autres ont vu leur cote de popularité baisser au fil de leurs comparutions répétées devant la 17ème chambre correctionnelle. Courage n’est pas témérité, après tout.

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La poule aux œufs d’or

Après avoir amoché, en 2008, Versailles avec les bibelots kitsch de Jeff Koons – le cru 2009 avec Xavier Veilhan étant à peine « moins pire » – le pétillant Jean-Jacques Aillagon récidive en accueillant Takashi Murakami et son univers manga transgressif. Ce dernier prétend – comme tout artiste contemporain qui a bien appris sa leçon de marketing – « dénoncer ». Car désormais, l’artiste se sent obligé de « dénoncer » : le verbe se mue en intransitif et la démarche esthétique devient politique dans une société risquant à chaque instant de retourner vers ses heures les plus sombres… Mouche du coche surnuméraire, il vient se joindre à la corporation des commissaires politiques plasticiens qui ont compris que, savamment dosée, la provocation pouvait se révéler très rentable financièrement parlant. De fait, la principale difficulté de leur métier consiste à jouer de leurs relations pour se trouver le mécène – collectivité locale ou industriel prodigue – qui voudra bien les entretenir.

Voici donc le château de Versailles meublé de ces objets ronds et multicolores dont la présence semble ne pas incommoder qu’une poignée d’irréductibles royalistes – les visiteurs japonais ou coréens n’ont pas nécessairement le discours formaté du parisien timoré qui ne craint qu’une chose : passer pour un béotien ou un réac. Mais l’art consommé du gérant des lieux comme de ses supplétifs – des consultants télévisuels en histoire de l’art qui parlent comme des vendeurs d’encyclopédies à domicile, à coups d’arguments prédigérés convoquant le pop art, l’impressionnisme et le baroque – vise, plutôt que de convaincre, à dénigrer toute opposition en la présentant comme l’expression des humeurs atrabilaires de dégénérés extrémistes, ce qui n’est pourtant pas toujours le cas.

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