L’opium du peuple

Chaque année, le service public audiovisuel offre sa saga de l’été à quelques millions de citoyens en demande de divertissements porteurs de savoir avec, si possible, un soupçon de croustillant en sus. Cette fois-ci, l’opus s’appelle Inquisitio et traite, comme son nom le laisse supposer, de la terrible Inquisition, occupation favorite des grands pontes de l’Église catholique pendant le Moyen Âge dont cette dernière n’est jamais complètement sortie, même après Vatican II.

Le Moyen Âge, c’est, grosso modo, la période qui s’étale entre Vercingétorix et la Révolution Française. Pendant ces quelques siècles, l’Église a tenu d’une main de fer toute une population dans les ténèbres de l’ignorance et la crainte de l’enfer. En ce temps où l’on craignait l’hérésie comme la peste, on vantait la foi que professait le charbonnier : faite de crédulité et de fidéisme – il conviendra de se demander, à propos, si cela n’est pas inscrit dans les gènes de la lex credendi romaine – elle s’accommodait assez mal des hardiesses doctrinales sur lesquelles des novateurs tels Jacques Gaillot ou Alain de La Morandais sauront bâtir leur notoriété. Le climat n’encourageait guère à la recherche scientifique et contraignait les Galilée, Nostradamus et autres alchimistes à s’user les yeux à parcourir leurs grimoires dans la pénombre d’une cave du Quartier Latin.

Le syncrétisme n’étant pas de mise à cette époque, l’Arien, le Cathare et le Parpaillot avaient tout intérêt à louer leur dieu in petto, à moins qu’il n’eussent voulu rejoindre le long cortège des sorcières destinées à rôtir sur un bûcher devant les faciès grimaçants d’une plèbe avide de réjouissances morbides. Quant au clergé, plus prévaricateur que jamais, il était mû bien moins par des considération spirituelles que par un appétit prononcé pour le lucre, le stupre, les mets délicats et les belles étoffes. Le culte divin baignait dans un rubricisme étroit que certains catholiques plus récents ont heureusement détrôné en incorporant guitares électriques et djembés aux célébrations eucharistiques.

Vous l’aurez compris : chrétienté rimait avec obscurantisme et terreur. L’excommunication ferendæ sententiæ, l’anathème ou l’écartèlement étaient monnaie courante et tenaient lieu d’épée de Damoclès propice à obtenir une soumission aveugle des ouailles à des prélats experts en casuistique. Le pèlerinage à Canossa n’avait rien d’une partie de plaisir, même en auto-stop.

Enseigner, c’est rabâcher ; aussi, apprécions à sa juste valeur cette entreprise télévisuelle qui vient nous rappeler tous les maux causés par cette sinistre institution endoctrinant et manipulant les esprits simples, et se servant des pouvoirs temporels les moins démocratiques comme d’un bras séculier prompt à appliquer la justice divine dans toute sa rigueur. Le réalisateur d’Inquisitio nous replonge dans ces heures sombres pendant lesquelles le Souverain Pontife et ses sbires traquaient impitoyablement ceux qui violaient le catholiquement correct. Trop rares sont les programmes télé de qualité – songeons à l’excellent Les oiseaux se cachent pour mourir – qui nous permettent d’apprendre réellement ce qui se trame dans les arcanes du Vatican ou de ses succursales à travers le monde. Nul doute que cette série palpitante saura divertir les familles réunies devant le petit écran tout en les invitant à réfléchir aux méfaits de la théologie dogmatique.

Il n’a évidemment pas fallu longtemps pour voir poindre les hordes de catholiques grincheux venant se répandre en critiques oiseuses dans divers médias, à l’encontre de ce feuilleton, sous prétexte que les auteurs auraient pris certaines libertés avec la vérité historique. Mais, comme le disait le célèbre Ponce Pilate : « Quid est veritas ? »…

Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.