Pour commencer, et avant d’aller plus loin dans cette étude aussi rigoureusement menée qu’un documentaire de Mordillat et Prieur, les deux faussaires de l’exégèse historico-critique, il faut tout d’abord définir ce qu’est un « jeune ». Un jeune est un être humain. Ou presque. Ce qui en fait une espèce à part n’est pas tant son âge – susceptible de varier de 7 à 77 ans – que sa culture – inculture conviendrait mieux, me glisse-t-on à l’oreille – qui le pousse à fuir tout ce que le génie humain a élaboré depuis que l’Homo Sapiens a troqué la peau de mammouth contre un costume de prêt-à-porter bon marché.
Il apparaît que le jeune goûte avec volupté la littérature classique. Non, je plaisante. En vérité, sa maîtrise insuffisante de la langue officielle le condamne inexorablement à préférer les Beat them all, ces jeux vidéo dans lesquels il laisse s’exprimer toute sa finesse d’esprit en dézinguant à foison des ennemis virtuels dans une guerre des gangs sans merci. À propos de langage, nous ne pouvons que déplorer les mutations tchernobyliennes ayant abouti à l’apparition d’un idiome qui rendrait malade plus d’un académicien. Décrypter ce sabir-SMS demande un effort comparable à celui qu’effectua Champollion face aux hiéroglyphes au sens encore inviolé. À la légère différence que le savant susnommé pouvait s’émerveiller devant ces signes extraordinaires d’esthétisme et de mystère, tandis que nous, nous sommes conduits vers une consternation proche du désespoir en face de ce dialecte issu des ravages conjugués des réformes éducatives, des messageries instantanées, et sans doute aussi d’une forme de dégénérescence cellulaire des masses cérébrales.
Du côté de l’alimentation, le jeune affectionne particulièrement tout ce qui est mou, gras, sucré, autrement dit : américain. Il arrose souvent cela d’alcools de qualité médiocre, plus proches de l’antigel que du grand cru. Junk-food, binge-drinking, mens sana in corpore sano…
Le lieu de vie habituel du jeune est un antre imprégné d’une forte odeur caprine qui rend l’endroit invivable pour tout autre membre de la famille. En revanche, survit, et même prospère une colonie de mouches qui se délectent de restes de nourriture incrustés dans la moquette depuis on ne sait pas trop quand, au juste. Le reste de la déco – en attendant la venue improbable de Valérie Damidot – est composé de chaussettes dépareillées dispersées en boules sur le sol, ainsi que de posters punaisés sur les murs. Ces derniers représentent tantôt des artistes de gansta-rap ou de death-metal, tantôt des voitures de sport peuplées de bimbos peu farouches.
Évoquant le vêtement, un célèbre auteur écrivait, sur Google : « La brute se couvre, le riche ou le sot se parent, l’homme élégant s’habille ». On aurait aimé une mention du jeune, au nom de l’affirmative action, mais nenni. Car dans son quotidien, le jeune a plusieurs challenges à affronter. Il doit déjà maintenir la ligne de flottaison de son jean en équilibre sur la partie médiane de son séant, afin d’être à la mode en exhibant le plus possible son caleçon. Remarquons que le pantalon que porte sa copine réalise le même tour de funambule depuis que sa propriétaire s’est mise à croire que le string sépare non seulement ses deux fesses, mais aussi la simple gamine de la vraie femme. En outre, le soin qu’il met à ébouriffer sa tignasse façon « Beatles au réveil », en se regardant dans la vitre du wagon de métro, laisse penser qu’il est possédé par l’esprit errant d’un épouvantail. Sa femelle, elle, compte sur un maquillage expressionniste – ainsi qu’un chewing-gum ruminé la bouche ouverte – pour mettre en valeur sa distinction naturelle.
Dans son comportement social enfin, le jeune montre une indéniable proximité avec Cro-Magnon, lorsque advient de ces situations qui susciteraient, chez l’homme civilisé, ces habitus que l’on nomme traditionnellement « savoir-vivre », « courtoisie », ou encore « galanterie ». Dans le métro, ledit jeune laisse rarement le seul strapontin encore libre à sa copine – une Alison ou Kimberley qu’il trimballe en ville de temps à autre – parce que c’est comme ça.
En résumé, on aura tout bénéfice à éviter la compagnie du jeune, surtout quand il est soviétisé à la FIDL où on lui fait confondre Che Guevara avec Mère Teresa. Malheureusement, on n’a pas toujours le choix, et il faudra alors s’armer d’endurance, en gardant l’espoir qu’un jour ses neurones se remettent à fonctionner correctement. Des miracles arrivent, par moments…
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.