« Notre liberté de nous habiller. Voilà ce que nous voulons. » Ça débute comme une tirade girondine devant la Convention. On imagine le locuteur : redingote, culotte, bas de soie, lavallière, tout le tralala. L’instant est solennel : les libertés fondamentales sont en jeu. Au besoin, on joindra le geste à la parole en coupant quelques têtes qu’on hissera sur des piques afin de montrer au despote que, désormais, le choix des étoffes appartient au peuple souverain.
« Pouvoir mettre des jupes, des shorts, longs ou courts, pouvoir mettre des jeans, troués ou non »… La vindicte populaire vient de faire sa première victime : la syntaxe. Quant à la doléance elle-même, elle nous renvoie vers les heures les plus sombres du soixante-huitardisme qui ne voit pas d’autres combats à mener que ceux qui consistent à convertir des aberrations en droits.
Dans ce genre de polémique, ces teenagers voient évidemment poindre, derrière une discipline qu’ils contestent, le spectre du Moyen Âge fasciste. Car la proximité idéologique entre l’administration du lycée et les pires régimes totalitaires leur semble flagrante. Les diktats rétrogrades du proviseur et de sa police des mœurs, à savoir « porter une tenue propre et décente et avoir un comportement correct », relèvent d’une conception de la vie sociale jugée révolue depuis les frasques de Dany le Rouge et de ses acolytes, entre Nanterre et le Quartier latin.
Cette conception moderne de la liberté à laquelle sont attachés ces ados accorde la primauté au subjectif, au spontané, au versatile. Elle place au même niveau le beau et le moche, le propre et le crade, le sobre et le tape-à-l’œil : les transcendantaux, c’est passé de mode. Cet abandon de l’esprit critique fait bien l’affaire des industriels de la confection. Ils ont conditionné cette clientèle malléable à tout gober, au point de lui faire porter des fripes clonées sur des pièces tout droit sorties d’un tas d’ordures. Aujourd’hui, le look clochard est en passe de devenir le nouvel uniforme d’une génération avide de signes extérieurs de révolte. Les professionnels du sportswear ont commercialisé une version boueuse du pantalon. Évidemment, ça coûte un bras mais la liberté n’a pas de prix. Pour la prochaine collection, on attend la variante diarrhée pour les plus punks de ces enfants gâtés.
Cependant, le plus gênant dans cette histoire ne réside pas dans l’attitude des lycéens. Ce sont des adolescents et ils ont donc des circonstances atténuantes. La plupart d’entre eux sortiront, un jour, de cet âge ingrat marqué par l’apparition simultanée d’acné juvénile et de fantasmes guévaristes. En revanche, lorsqu’on s’aperçoit que des parents d’élèves ont rejoint leurs rejetons dans cet esclandre, il y a de quoi s’inquiéter. Se mobiliser pour ce genre de pantalonnade les discrédite à jamais et mériterait une privation définitive de leurs droits parentaux et civiques. Ces adultes qui réclament la nomination d’un médiateur pour faire fléchir le proviseur face aux caprices de leurs enfants montrent une complaisance pleine de veulerie à l’égard de ces derniers. Les géniteurs ont décidé de la jouer copains. Ce moment régressif leur donne sans doute le sentiment d’accompagner le sens de l’Histoire dans cette lutte pour l’émancipation des guiboles de leur progéniture. Il reste de l’espoir pour leurs gosses. Pas pour eux.
Sinon, je voulais ajouter un truc, mais j’ai oublié quoi.