Harlem shake

Tourner sept fois sa langue dans sa poche avant de l’avoir vendue au chat : voilà ce qu’aurait dû faire Harlem Désir au moment où lui est venue, tout récemment, l’envie de se rappeler au buzz des amateurs de ses bons mots. Dans le souci qu’il a, dorénavant, de justifier son salaire, il multiplie les clashes à l’encontre de ses adversaires politiques dont il s’emploie à dénoncer les idées abjectes.

Sur le fond, il a une vision du monde aussi binaire que celle d’un militant de la FIDL. Mais là où le maître se distingue de l’élève, c’est dans le style littéraire. Si le lycéen indigné se contente de scander des slogans hypnopédiques, le patron de la rue de Solférino s’est discipliné à user d’une prose plus subtile. Il a appris à manier la métaphore et la périphrase pour traiter qui bon lui semble de « fasciste » de façon classieuse. Il évoquera ceux qui viennent « ronger le pacte républicain », ceux qui ont « perdu leur boussole républicaine » ou encore ceux qui font se développer un « climat antirépublicain ». On l’aura remarqué : notre camarade – qui veut lancer une « croisade républicaine » – ne craint pas la répétition ad nauseam. Parfois, il s’aventure à déclamer des formules plus artistiques telle la « nébuleuse de la haine » qui ferait un excellent titre pour un polar ésotérique. Mais l’historien qui sommeille en lui sait varier les plaisirs et nous gratifier de références au « vocabulaire des années 30 ». Malheureusement, trop d’Histoire tue l’Histoire : il s’est bêtement pris les pieds dans le tapis le jour où il a revisité les heures sombres de la Guerre d’Espagne. Sa version des faits concernant le sort des réfugiés du camp républicain tranchait sensiblement avec ce qui ressort du travail des universitaires. C’est dommage.

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Au pilori

En apprenant que des plaintes seraient déposées à l’encontre du SM, nombre de libertins encagoulés ont été plongés dans un profond désarroi. Leur hobby n’aurait-il désormais plus droit de cité ? Certains de leurs coreligionnaires, plus férus en matière juridique, ont tôt fait de les rassurer : SM signifie aussi Syndicat de la Magistrature.

Car il se trouve que ledit SM dispose d’un local. La décoration y est spartiate comme dans tout local syndical qui prône l’intégrité, l’indépendance et l’incorruptibilité. Malheureusement, après le probable visionnage d’un épisode de D&CO, l’un des membres de cette confrérie en robe à épitoge herminée s’est cru récipiendaire du charisme de Valérie Damidot et s’est attaqué, sans complexe, à la décoration du lieu afin d’y apporter cette french touch qui rappelle au monde entier que notre patrie est celle de Fouquier-Tinville.

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Gros rouge (qui tâche)

8 avril 2013, 7 heures et des poussières : Jean-Louis Mélenchon, chef de file du Front de Gauche, vient d’apprendre par la radio la mort de Margaret Thatcher. Malgré une légère gueule de bois causée par les tequilas boum boum de la veille, il se sent soudain envahi par une sensation de bien-être assez inhabituelle chez lui. Lors, il se précipite sur son ordinateur, encore vêtu de son pyjama made in DPRK, dans un réflexe tout reptilien : il va s’exprimer sur Twitter afin de répandre pour ses 137.807 abonnés une parole forte, solennelle, digne d’un ex-candidat à la présidence de la République. Le lettré qu’il est cisèle un message – presque un haiku – qui sera posté afin de satisfaire ses followers avides de vérité. À 7h 33, le verbe se fait tweet : « Margaret Tchatcher va découvrir en enfer ce qu’elle a fait aux mineurs. »

Beaucoup pensaient que Jean-Claude Mélenchon ne croyait ni à Dieu ni à Diable : erreur ! Il a, à plusieurs reprises, professé sa foi envers le second. On constate que sa religion à lui comporte, elle aussi, une dimension sotériologique, avec toutefois un accent franchement mis sur la damnation. Pour ce qui concerne le salut, son espérance semble se limiter à l’avènement du paradis socialiste à la place de cette république qui tolère encore les agissements des bigots réactionnaires.

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Les Femen ont-elles une âme ?

Quel talent, ces Femen ! Parvenir à incarner avec une telle intensité la vulgarité, l’inculture et l’imbécilité réunies force le respect. Bon, il est peu probable qu’elles aient eu à pratiquer la méthode de Stanislavski pour réussir cette performance : leur numéro d’hystérie extatique ne tient pas du rôle de composition. Mais elles veulent faire parler d’elles et l’on ne peut nier qu’elles y parviennent et, ce, sans jamais tomber dans la finesse.

Récemment, elles avaient organisé un show à Milan. Voulant mettre un coup de pression à Berlusconi qui présentait sa candidature aux dernières élections législatives, elles étaient arrivées désapées, peinturlurées et belliqueuses comme à leur habitude. Elles scandaient « Basta Sylvio », imaginant naïvement bouter l’animateur des soirées « bunga bunga » par la seule force de trois paires de nénés.

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Salut l’artiste !

La semaine passée, la célèbre Caroline Fourest a été promue chevalier de l’ordre des Arts et Lettres. Bien entendu, cette info ne pouvait pas laisser la clique réactionnaire indifférente. Sur les réseaux sociaux, chacun y allait de son petit commentaire sur l’opportunité de cette décoration, le plus souvent pour évoquer le décalage entre la suffisance fourestienne sur la forme et son insuffisance sur le fond.

De fait, ses prestations médiatiques la font apparaître moins comme une journaliste que comme une militante. Lorsqu’elle guerroie contre l’obscurantisme, l’objectivité pâtit salement. Quant à l’exactitude factuelle et la rigueur intellectuelle, elles sont à chercher du côté des dégâts collatéraux. Quand ses copines Femen font irruption au milieu d’une manifestation organisée par des catholiques traditionalistes en vociférant et en vidant des extincteurs sur la foule, notre trouvère en fait une geste dans laquelle la réalité vient elle aussi subir quelque violence. Ainsi, les furies dépoitraillées voient leur action qualifiée de « protestation pacifique et drôle ». Et les messages qu’elles arborent peints sur leurs torses –  « FUCK GOD », « FUCK CHURCH » et plus si affinités… – deviennent autant de « slogans humoristiques ». Décidément, Caroline aime la rigolade. Et pas trop fine, s’il vous plaît.

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Athéocratie

A Charlie Hebdo, le numéro spécial caricatures islamophobes devient un marronnier. Est-ce un choix guidé par le marketing – on espère surfer sur la vague créée par un film américain de série Z qui fait le buzz dans tout le Moyen-Orient – ou simplement causé par le manque d’imagination de dessinateurs qui fonctionnent sur des schémas mentaux assez primaires ? Les nombreuses accusations de vénalité ont piqué au vif le directeur de la publication qui a affirmé que « Si les dessinateurs et auteurs de Charlie avaient couru après l’argent, ils n’auraient pas fait Charlie Hebdo [et blablabla] ». En gros, c’est pas pour faire du fric. C’est gratuit. Enfin, presque : 2,50€ multipliés par 200 000. Déjà, lorsque le site internet fut piraté, le patron venait rassurer le chaland : « Une chance tout de même : la boutique en ligne n’est pas touchée. » A quelque chose malheur est bon…

C’est sûr que, lorsqu’ils publient leurs habituels graffitis sur le Pape, le retour sur investissement est bien moindre. Il faut avouer que depuis que la Révolution a guillotiné une partie du clergé français et la IIIème République expulsé une autre partie hors de l’hexagone, les railleries contre l’Église ont peu à peu perdu de leur aspect sulfureux. On a beau verser dans la surenchère, il y a désormais toujours ce persistant goût de rassis. Les représentations ad nauseam de Benoit XVI en criminel / pédophile / nazi n’amusent plus qu’un lectorat conquis d’avance essentiellement composé de libres-penseurs congelés dans la doxa irréligieuse de la Belle Époque et d’adolescents en phase acnéique de révolte.

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Musique sacrée

« Nous sommes tous des Pussy Riot ! » : le slogan éculé est proclamé avec la gravité qui sied à pareille cause. Devant la caméra complice de quelque journaliste sans recul, ce Don Quichotte à la petite semaine joue son rôle de manifestant avec un art un peu trop dramatique. Le ridicule ne le tuera pas, heureusement. Heureusement, car, après avoir montré son indignation à tous les passants, il a sans doute prévu d’aller faire la fête avec ses copains intermittents de l’antifascisme. Les Pussy Riot, il n’a pas que ça non plus dans sa vie…

Si vous avez raté le début : Pussy Riot est un groupe punk russe dont trois membres – des jeunes femmes – ont été condamnées au « goulag pour une chanson » dixit Libé. Certains médias osent même parler d’une « prière punk » clamée dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. On connaissait les spiritualités franciscaine, carmélitaine ou cartusienne. Désormais, on pourra également compter sur la mystique punk pour élever son âme vers Dieu. La lex orandi keuponne vient apporter un vrai renouveau dans la manière de s’adresser au Bon Dieu et à ses saints. Le contenu des oraisons – accompagnées de riffs de guitare électrique – prononcées lors du happening incriminé fait apparaître un savant mélange d’invocations chrétiennes et de vitupérations libertaires, le tout baignant dans une coprolalie assez peu usitée en temps normal dans une église.

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L’opium du peuple

Chaque année, le service public audiovisuel offre sa saga de l’été à quelques millions de citoyens en demande de divertissements porteurs de savoir avec, si possible, un soupçon de croustillant en sus. Cette fois-ci, l’opus s’appelle Inquisitio et traite, comme son nom le laisse supposer, de la terrible Inquisition, occupation favorite des grands pontes de l’Église catholique pendant le Moyen Âge dont cette dernière n’est jamais complètement sortie, même après Vatican II.

Le Moyen Âge, c’est, grosso modo, la période qui s’étale entre Vercingétorix et la Révolution Française. Pendant ces quelques siècles, l’Église a tenu d’une main de fer toute une population dans les ténèbres de l’ignorance et la crainte de l’enfer. En ce temps où l’on craignait l’hérésie comme la peste, on vantait la foi que professait le charbonnier : faite de crédulité et de fidéisme – il conviendra de se demander, à propos, si cela n’est pas inscrit dans les gènes de la lex credendi romaine – elle s’accommodait assez mal des hardiesses doctrinales sur lesquelles des novateurs tels Jacques Gaillot ou Alain de La Morandais sauront bâtir leur notoriété. Le climat n’encourageait guère à la recherche scientifique et contraignait les Galilée, Nostradamus et autres alchimistes à s’user les yeux à parcourir leurs grimoires dans la pénombre d’une cave du Quartier Latin.

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Place du chapelet

« Puisque tu es tiède, et ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. » Et hop, on nous ressort le fameux passage de la Lettre à Laodicée (Ap III, 16) comme l’argument massue qui doit nous discréditer aux yeux, sinon du monde, du moins de notre Créateur qui honnirait donc toute forme de mesure dans l’action comme dans la pensée parmi ses fidèles. C’est ainsi que ceux qui soutiennent les actions « coup de poing » contre les spectacles jugés blasphématoires – à tort ou à raison, peu importe ici – nous font passer en comparution immédiate au Jugement Dernier pour un verdict sans appel et sans clémence. Voici quelques semaines, une poignée de jeunes gens animés du zèle de la foi sont allés interrompre une pièce de théâtre estimée « scandaleuse » par avance – on ne sait en vertu de quelle prescience – en montant sur la scène et en alternant, devant un public médusé, exercices de dévotion mariale et gestes de boxe anglaise. Leur intervention a fait évidemment couler beaucoup d’encre virtuelle. Parmi les critiques suscitées, certaines émanaient d’autres catholiques qui se sont fait taxer aussitôt d’apostats ou équivalents par certains de leurs coreligionnaires.

La vraie question ne consiste pas à savoir si Sur le concept du visage du Christ ou Golgotha picnic sont des œuvres sacrilèges, décadentes, profondes ou clownesques. Chacun aura son avis là-dessus, y compris ceux qui ne font que répéter les leitmotiv dont les abreuvent ceux qui pensent pour eux.  Les foules ont un goût prononcé pour le « ouïe dire » qui offre un confort intellectuel incontestable, faute de garantir son intégrité à la vérité. En revanche, nous pouvons nous demander si l’honneur du Christ est davantage menacé par les extravagances d’un artiste d’avant-garde ou par le lobbying agressif de certains chrétiens courroucés.

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